Danses du quotidien
Depuis 2009, Régine Chopinot réalise un travail de recherche sur le corps et le lien entretenu avec la parole dans des cultures où l’oralité prime quant à la transmission. Pour ce faire, elle s’est rendue à plusieurs reprises en Nouvelle-Calédonie, en Nouvelle-Zélande, au Japon. Voyag Very Wetr ! (prononcer Ouetch et qui signifie pays) est une collaboration menée depuis ces années avec le groupe Wetr de Drehu/Lifou, en Nouvelle-Calédonie. Ce dernier fait vivre les chants et les danses de la culture Kanak (qui signifie homme), qui avaient disparu après la colonisation. Il se les réapproprie pour en faire des créations contemporaines ancrées dans leur vie. Very Wetr ! est un spectacle conçu à partir de déplacements des 12 interprètes (chanteurs danseurs et chef qui constituent le groupe), de chants et de scènes du quotidien : un match de football, une berceuse, une danse sur une musique de variété…
Dans ce spectacle, le groupe et la chorégraphe sont bien distincts. Les danseurs et chanteurs se déplacent, font vivre l’espace par leurs chants et bruitages, et par leurs dansent qui voyagent tout le temps. Régine Chopinot elle est seule. Elle apparaît accompagnée à la guitare. Prend place de dos, au milieu de la troupe. Elle y déploie ses bras, tout est léger, comme suspendu. Ce qui contraste avec toutes les danses, que l’on a pu voir au début et que l’on voit à la fin du spectacle, qui sont très ancrées.
Des questions surgissent alors. La devinant dans la pénombre des coulisses au début du spectacle, sa tête dodeline, elle est en empathie avec le groupe, qui chante et danse au même moment sur le plateau. Cette soudaine entrée, laisse dubitatif. Seule blanche sur scène, on peut imaginer que cette entrée et la danse qui suit, sont nécessaires à son propos. Malheureusement, on ne comprend pas ce choix. D’autant plus que c’est elle qui vient se faire bercer, réconforter par une femme Kanak âgée.
Erreur d’interprétation ? On aurait tendance à penser que les rapports entre anciens colonisés et anciens colons perdurent. En tout état de cause, la présence de Régine Chopinot dans le spectacle est assez déroutante. Elle ne raconte ni la rencontre artistique, ni la rencontre humaine. Sa position ressemble trop à celle de ces danseurs contemporains qui au début des années 1990 collaboraient avec des danseurs d’autres cultures ; et dont le fruit de la rencontre était souvent édulcoré par une danse contemporaine complètement déconnectée de l’échange en lui-même et de la culture dont étaient originaires ces danseurs.
La question de la rencontre et de sa mise en scène sur le plateau est donc vraiment diffuse. Ce qui est assez dommageable lorsqu’on a les moyens de travailler avec une telle troupe et des collaborateurs très réputés. On la perçoit plus au niveau des costumes créés par Jean-Paul Gauthier, complice régulier de la chorégraphe. Créations qui se mêlent assez bien à l’univers des Kanaks et aux matières liées à leur environnement. Quoi que certains soient eux-mêmes datés (années 1980/1990).
Régine Chopinot en collaboration avec Umuissi Hnamano de la troupe du Wetr, nous donnent à entendre la voix kanak. Une voix (off) qui nous explique la relation essentielle à l’autre et l’interdépendance des hommes et de leur environnement : « si il n’y a pas toi, y a pas moi. Si y a pas moi mais l’autre il est où ?… L’autre c’est le foyer qui représente l’esprit sain. Si le foyer n’est plus là, on est tous dans le cimetière…». Cette voix nous expose une façon de voir différente de la notre et de ce fait, à laquelle on doit être attentif si l’on veut comprendre cette culture.
Signe que les rapports n’ont que peu évolué entre le Nord et le Sud, cette même voix s’étonne de ces personnes qui pendant la colonisation habillaient les kanaks, et se permettent maintenant de se déshabiller quand ils viennent en vacances dans ces chaudes contrées.
Very Wetr ! est un spectacle qui nous ouvre une fenêtre sur la culture kanak. Le groupe où vieux et jeunes, femmes et hommes sont représentés, prend un réel plaisir à partager les moments qui constituent leur quotidien et ce avec beaucoup de joie et de vigueur. Une joie dont la présence de Régine Chopinot est pratiquement dénuée. C’est vraiment ce décalage qui pose question et qui crée une contradiction entre deux univers. Contradiction qu’il est difficile d’accepter dans la mesure où le choix de la rencontre est revendiqué.
Fanny Brancourt – Centre national de la danse (Février 2013)