Olivia Grandville, mille et un projets au CCN de La Rochelle
Depuis le début de l’année, Olivia Grandville est la nouvelle directrice du centre chorégraphique rochelais. Elle succède à Kader Attou, premier chorégraphe hip hop à avoir été nommé à la tête d’un CCN, en 2008. Le 17 février dernier, la chorégraphe dévoilait aux médias locaux son projet Mille Plateaux.
C’est dans une chapelle Fromentin transformée qu’Olivia Grandville reçoit journalistes et édiles pour leur présenter Mille Plateaux, son projet pour le centre chorégraphique national de La Rochelle. Transformée car épurée : les vitraux ont été dés-occultés, le pendrillonnage noir au sein du chœur démonté et très prochainement ce sera au tour du gradin frontal rétractable de disparaître. « Je souhaite offrir aux spectateurs différentes manières d’envisager la chapelle. Elle est très belle mais c’est un décor en soi chargé d’une lourde symbolique que l’on doit pouvoir prendre en compte mais aussi neutraliser. L’idée est de retrouver de l’espace, de la lumière et d’implanter trois tribunes mobiles d’une capacité d’environ 160 personnes. » précise la nouvelle directrice, en pleine transmission de sa pièce A l’Ouest (2018).
Habiter différemment la chapelle
Forte de son expérience de chargée de mission à la programmation au Lieu Unique de Nantes et des enseignements de la pandémie, Olivia Grandville entend réinventer le lieu patrimonial rochelais en un dispositif innovant qui proposerait une autre proximité de la danse. Elle s’explique : « Nous avons bien vu que pendant les confinements nous avions besoin de théâtres, d’art, pourtant tout une part de la population a encore peur d’entrer dans un lieu de diffusion. Je souhaite donc poser la question du renouvellement des publics au travers de nouvelles formes d’adresses. En accueillant notamment de nombreux artistes et projets qui souhaitent intégrer les spectateurs dans des dispositifs scénique plus immersifs. En trouvant un système adapté à notre fonctionnement, plus créatif et qui fasse qu’il y ait une autre approche de la danse, j’espère qu’un autre regard sur cet art va émerger, un autre public va également se former … »
Depuis le 3 janvier, la nouvelle équipe a intégré les murs de Fromentin et n’a pas vraiment chômé. Avec la mise en place d’un programme de cours et de training, l’artiste part à la rencontre de la communauté chorégraphique locale et des habitants de l’agglomération. Si l’inauguration des Mille Plateaux se déroulera début octobre 2022, il n’était pas question pour autant de laisser la chapelle porte close jusqu’à sa crémaillère. Aussi les dimanches qui accueillent un Invité mystère (chorégraphe mais pas seulement) sont d’ores et déjà un succès qui prouve l’envie du public d’investir ce haut-lieu du centre ville (jusqu’à présent assez secret).
Danser aussi ailleurs
Mille Plateaux ce sont aussi des échappées belles, loin du lieu sacré érigé au 17ème siècle. « Cela me tient à cœur que la danse investisse pleins d’espaces différents : urbains, patrimoniaux, ruraux. Nous développons le projet d’Unité Mobile d’Action Artistique (UMAA), tel un set de matériel technique et humain susceptible de se déplacer dans les territoires délaissés. » dévoile la chorégraphe. Ce dispositif de diffusion itinérant (effectif au printemps 23) pourrait ainsi se poser une à deux semaines pour proposer des performances, des ateliers pratiques et autres conférences. Là encore il s’agit d’imaginer de nouveaux modes de diffusion de pratiques sur un circuit plus court et local et sur des moments plus longs. Il pourrait se matérialiser à travers une série d’objets artistiques gonflables : « Il ne s’agit pas d’une logique de chapiteau mais plutôt d’une forme de campement, un village artistique composé d’un set d’objets plastiques déclinant une esthétique cohérente : assises, canopées, abris, dispositifs lumineux, scénographiés en fonction des sites qui les accueilleront. Il y a l’idée de « faire lieu », et d’abriter diverses approches de l’art chorégraphique : petites formes, ateliers, bals, rencontres thématiques, médiathèques éphémères… L’UMAA s’adossera par exemple à des festivals, des structures culturels ou des tiers lieux. »
Là encore, la pandémie est l’origine d’un tel projet car l’UMAA s’inspire directement des Unités Mobiles Hospitalières largement déployée pour combattre le Covid-19.
Jouer collectif(s) et compagnonner
« Lorsque j’étais danseuse chez Dominique Bagouet, au CCN de Montpellier (NDLR : entre 1988 et sa mort en 1992), ces outils était essentiellement dédié à la création d’un chorégraphe. Aujourd’hui le cahier des charges a totalement évolué. Transmettre, accompagner d’autres artistes, développer la culture chorégraphique sont au cœur des missions des CCN. C’est pourquoi j’ai choisi d’associer à Mille Plateaux deux jeunes collectifs d’artistes : Ès de Lyon et La Tierce de Bordeaux.
Si le premier conjugue la culture populaire et savante dans un registre chorégraphique et énergique, le second est davantage dans une démarche plastique et poétique. Tous deux travaillent cependant des dispositifs autres que la boite noire. Multipliant les approches artistiques, ils ne créent pas seulement des pièces, ce qui ne pouvait que séduire Olivia.
Un autre artiste rejoint l’aventure rochelaise : César Vayssié. Compagnon de route d’Olivia depuis de nombreuses années, réalisateur et auteur de performances, il sera en charge de FAUNE, « studio de réalisation audiovisuelle destiné à l’espace numérique en même temps que plateforme de diffusion d’objets créés ici et d’autres comportements artistiques qui passent via les réseaux et sans lien avec les théâtres. »
Particulièrement sensible au cinéma et à l’image, le CCN imagine initier et relayer les nouveaux comportements artistiques qui forment une zone souvent inqualifiable entre cinéma, art plastique, performance et danse.
Le dispositif technique de FAUNE sera alors simple : un ensemble numérique dédié permettant la prise de vue, le traitement de l’image et du son et la réalisation. Le tout visible sur une plateforme numérique à venir : I.FAUNE, lieu de ressources et de live streaming bien dans son époque post-covid.
De nombreux autres artistes vont également animer la chapelle via ses accueils-studios. 8 compagnies ont été retenues pour 2022 (sur 150 demandes !).
Tourner et emporter la foule
Mille projets fourmillent donc à Fromentin et l’un d’entre eux va solliciter la présence d’amateur-es de la cité maritime. Olivia Grandville s’apprête à remonter Foules, création de 2015 qui nécessite une centaine de participants sans aucune compétences préalables. Cette « sorte de Jacques a dit chorégraphique et vrai spectacle » occupera le premier printemps rochelais de la chorégraphe, déjà fort sollicitée par la diffusion nationale de son répertoire (voir ci-dessous – tournée).
Et puis il y a aussi cette fête-crémaillère en octobre prochain qui lancera vraiment la nouvelle formule du CCN rochelais, projet qui ne se veut pas dans la rupture comme il a pu l’être avec Brigitte Lefèvre et Jacques Garnier quittant l’Opéra de Paris pour implanter de la danse moderne en région, avec Régine Chopinot et sa nouvelle danse française des années 80 ou encore avec Kader Attou, premier chorégraphe hip-hop à décrocher le label CCN. « Mon projet se veut plutôt dans la continuité ; il souhaite arriver à trouver le fil entre ces trois précédentes et différentes histoires. » espère Olivia.
Cédric Chaory