Tricoté serré
Seize danseurs du ballet de l’Opéra de Lyon, déploient bras et jambes avec une effervescence incroyable. Ils reprennent une pièce du chorégraphe américain William Forsythe, Workwithinwork.
Les lignes de cette pièce sont claires. L’espace est vide puis habité par deux danseurs, viennent alors s’y greffer deux autres danseurs, l’un repart puis trois entrent. Tout y est très précis les uns se répondent aux autres. Les danseurs entrent et sortent du plateau comme s’ils abandonnaient leur(s) partenaire(s) ou comme si tout s’effondrait. Cette pièce ne nous interroge cependant pas sur le chaos, mais plutôt sur des routes toutes tracées qui une fois empruntées n’ont plus à être. Il n’est pas question de trace. Nous sommes ici dans un espace/temps précis. Tout se joue comme une partition de musique. Les gestes sont calibrés, pesés, mesurés, de la tension au relâcher.
Les interprètes dansent ensemble des pas de deux, des trios, puis s’échappent pour laisser place à d’autres. Tout est net et en même temps rien n’est figé. Les apparitions/disparitions de chacun nous emmènent vers des terres inconnues. Ce qui nous est proposé n’est finalement jamais fixé. Tout peut s’écrouler à tout moment. Nous sommes dans l’insaisissable. La virtuosité des danseurs est d’autant plus forte, qu’elle peut être rompue à tout moment par un effondrement soudain, par un retour en marchant en coulisses…
Avec ce ballet, William Forsythe nous amène sans cesse au bord du gouffre et ne nous laisse jamais croire à ce que l’on voit a priori. Tout est illusion. Les jambes et les bras des danseurs sont les maîtres d’oeuvre de cette architecture de l’instant, de cette vie permanente où la fin est toujours présente. On se laisse alors emporter par ces allées et venues entre équilibre et maîtrise, déséquilibre et lâcher prise. Par ce travail qui n’en n’est pas un… qui se joue de la difficulté et du pragmatisme.
La certitude d’une douce mort
La deuxième pièce de ce programme interprété par les danseurs du ballet de l’opéra de Lyon, n’échappe pas à ces lignes tour à tour tendues et relâchées propres à la gestuelle de William Forsythe. Cependant le chorégraphe choisit de nous parler dans ce Quintett de mort, de naissance, d’animalité.
Une trappe s’ouvre sur le plateau, en contre point une énorme machine s’impose dans l’espace. De cette trappe apparaît puis disparaît les danseurs. Sont-ils happés par la mort ou bien naissent-ils à nouveau autre ? Ce que nous figure cet élément de décor est multiple. Nous sommes à la fois hors et dans le monde. Venir au monde, c’est l’appréhender de quelque manière que ce soit. Le premier danseur sortant de cette trappe, (et dont on ne voit au début que la tête et un bras), explore l’environnement tel un félin ou un reptile. Il est l’horizontalité. Celui qui se rapproche de l’instinct, capable de se déplacer et d’échapper à un ennemi potentiel. Pendant ce temps les quatre autres interprètes s’élancent dans des dialogues plus ou moins vains les uns avec les autres. Parfois complices, puis solitaires, les danseurs de ce Quintett ne s’offrent aucun temps mort. Il est une certitude le temps passe e ne se rattrape pas. D’où ce foisonnement d’élans, de lignes, de tensions mais aussi de relâchements exécuter avec rapidité, qui sont l’essence même de la danse de William Forsythe.
Profusion de gestes qui s’intègrent toujours dans le propos du chorégraphe. L’expérience commune de quitter et d’entrer dans le monde, lie chacun des interprètes. Ils peuvent alors s’épancher à deux à trois, vivre leur expérience seul, s’extraire du monde et s’y inclure.
L’espace sonore habillé par la voix de Gavin Ryars (dont les mots forment une sorte de litanie), évoque une berceuse, quelque chose qui vient de loin et qui nous porte vers d’autres cieux à force de répétitions. Les corps frénétiques sont eux-mêmes transportés vers des espaces troubles. Ce qui était acquis semble si fragile. Comme dans le précédent programme, rien n’est figé. Les choses se font et se défont sans que l’on ne puisse toujours en avoir le contrôle. Comme cette mort qui nous guette et que nous ne pouvons qu’accueillir, les danseurs construisent et déconstruisent les chemins corporels qui les traversent. Bouleversant quintet qui nous fait entrevoir cette fin certaine.
Fanny Brancourt – Théâtre de la Ville Paris (février 2011)
©Dominik Mentzos