Ce qu'une citoyenne africaine a à nous dire
Germaine Acogny nous interpelle sur une place de marché, quelque part en Afrique peut-être au Sénégal d’où elle est originaire. Sur cette place de marché, elle fait appel à plusieurs compagnons de routes : Pierre Doussaint pour la chorégraphie, Fred Koenig pour la vidéo, Fabrice Bouillon-Laforest pour la musique et enfin « Chouchou » son mari.
Elle nous questionne depuis le public, nous adresse la parole en passant du wolof au français. Procédé très délicat qu’il n’est pas toujours facile de mettre en place et auquel le public n’est pas toujours réceptif. La semaine précédant Songook Yaakaar, Robyn Orlin qui excelle dans ce procédé mettait en scène avec beaucoup de verve une chorale sud africaine. Une démarche forte, qui qu’on apprécie ou pas le reste, n’est pas donnée à tout le monde.
L’idée du spectacle de Germaine Acogny est de nous mettre face à toutes nos façons de « mal » penser l’Afrique et les africains. Tous ces préjugés, ces opinions qu’on se permet d’avoir ou pire d’énoncer publiquement, de proclamer dans une méconnaissance et une non-reconnaissance totale des faits et des réalités auxquels ce continent et ses peuples ont été et sont confrontés. Il est important d’être à l’écoute de cette parole. Avec un tel parti pris, la difficulté est de transcender les faits et la réalité pour en faire un acte artistique.
La parole de Germaine Acogny perd de sa force, peut-être à cause de toutes ces associations artistiques qui s’expriment sur le plateau. On passe de la danse (parcimonieuse qui nous emporte que trop peu), à la vidéo, la parole s’exprime ensuite ainsi que la musique. Le tout parait fragmenté. Même si les différents éléments s’interpellent, se nourrissent, il manque quelque chose. Peut-être une danse qui dit ces propos, qui dit cet engagement vers l’échange entre les cultures contre une ignorance latente. Il y a pourtant une force dans le visage de Germaine Acogny, un regard puissant et ferme auquel on ne peut échapper et qui nous pose face à nos manières d’être et de faire envers l’autre. Cette force semble plus diffuse au niveau du corps.
La présence de Germaine Acogny sur scène est touchante a plein d’égards. Cette femme franco-sénégalaise, née au Bénin, mariée à un allemand, qui a travaillé avec Maurice Béjart (Mudra Dakar), puis créé son propre lieu de formation Jant-BI L’école des sables, pour les danseurs du continent et d’ailleurs, s’expose sans complaisance. Mais il y a un décalage entre le vouloir et le faire. Elle nous emporte vers tous ces préjugés qui s’expriment aussitôt qu’on parle de l’Afrique et des africains. Elle incite alors le public à se lever et balancer ses fesses comme on a souvent l’habitude de réduire la danse africaine. Cliché auquel plusieurs artistes africains font référence Grégory Maqoma avec Beautiful Me, Robyn Orlyn dans différents spectacles, la compagnie Salia ni Seydou dans leurs derniers soli… Chacun s’attache à ne pas réduire le danseur africain à cette vision largement répandue.
Peut-être que le corps ici ne prend pas suffisamment l’espace comme le prennent les paroles qu’elle nous adresse, les images de Fred Koenig où la couleur exulte, et la musique jouée en direct de Fabrice Bouillon-Laforest. Germaine Acogny dit « Je danse au-delà des mots et des maux, pour affronter l’espoir de mes Afriques et défendre mes joyeux intérêts. » Intention plus que louable, et complètement nécessaire qu’il faut saluer mais qui a du mal a passer du là à l’au-delà.
Fanny Brancourt (Juin 2011)
©Michel Cavalca