Quelle belle idée que de consacrer une soirée à la danse et au burlesque. Il est agréable de voir des artistes qui choisissent de prendre la voie de l’humour dans leur pratique de la danse. De se jouer des codes parfois rigides qu’on nous inflige.
Im Kopf et Le Cygne – Andrea Sitter
Dans Im Kopf, Andrea Sitter questionne l’acte de création. Elle s’interroge sur ce qu’est être danseuse à travers une parole humoristique (il s’agit de ses propres textes) et la création d’un espace singulier. Dans un costume noir à la veste un peu trop large pour ce corps mince, Andrea Sitter parcourt l’espace, le délimite d’une simple ouverture de bras, d’une jambe qui s’étire dans le sol. Elle nous expose un corps pouvant vivre d’un instant à l’autre, un grand moment de stress puis un calme soudain.
Les cheveux tirés à quatre épingles Andra Sitter joue le cliché de la danseuse classique ou contemporaine, mais elle s’en détourne notamment avec cette veste de costume trop grande qu’elle utilise pour s’y cacher et dont elle fait sortir ses mains par le trou de la manche. Chaussée de bottines en plastique orange, elle casse les codes avec des détails qui permettent de mesurer combien nous nous habituons à des normes même pour ce qui est de la création artistique. L’introspection qui nous est proposée permet de dépasser les premiers regards que l’on pose sur quelqu’un et sur quelque acte artistique que ce soit.
Dans le Cygne, elle interprète la diva Natti Draers, qui fit une apparition furtive autour de La Mort du Cygne. Sur pointes, vêtue de noire, des plumes auréolant son visage Andréa Sitter incarne cette danseuse du Krumlovka-Lyceo. Elle est ce cygne noir qui apparaît et disparaît dans la fumée jusqu’à s’éteindre totalement. Cette courte pièce contrairement à la première semble moins bien trouver sa place dans la thématique proposée par le Centre National de la Danse. Elle s’apparente plus au drame. On perçoit dans la mort de ce cygne, l’aboutissement d’une vie solitaire, égarée. Andrea Sitter joue cependant avec cette fumée lumineuse dans laquelle on perçoit le cygne, mais de cette vision, seul un triste sourire s’en dégage.
Ouvrez ! Danses apéritives – Sylvain Prunenec
Vous reprendrez bien un verre ?
Au 14ème siècle, l’apéritif était une boisson médicinale qui ouvre les pores, les canaux, les vaisseaux. Sylvain Prunenec part de cette définition pour créer le duo Ouvrez ! Il s’appuie sur cette idée de conduits, de canaux de tout ce qui permet de faire circuler les liquides, les énergies. Il utilise des considérations physiologiques pour créer une relation entre les deux danseurs et nous entraîner dans un imaginaire détonnant. Les deux danseurs en costume de serveurs poussent un chariot sur lequel sont disposés verres à cocktail et boissons apéritives. Sylvain Prunenec dit « avoir élaboré ce duo sous la forme d’un relais entre les deux danseurs, l’un développant la danse amorcée par le second. » Cette idée de travail fonctionne totalement. On sent une écoute infinie entre les deux interprètes des regards qui se croisent, se cherchent, se reconnaissent. Le duo fonctionne parfaitement et l’on sent cette qualité chez chacun d’entre eux, de fluidité, de transmission d’une énergie d’un corps à l’autre.
Les corps justement sont débarrassés de toute lourdeur. Ils sont comme en suspension dans l’espace, prennent appui sur le sol, rebondissent encore et encore avec une qualité incroyable entre nonchalance, détachement et extravagance. Ils se répondent avec attention se retrouve pour un verre puis repartent explorer les considérations physiologiques qui les animent. Les corps n’ont rien de mous. Touchés par la légèreté, ils sont dans l’écoute extrême de ce qui les constituent, ces fameux canaux, vaisseaux, pores de la peau qui les meuvent.
Sylvain Prunenec développe une acuité particulière dans son travail, qui conduit au burlesque et à des propositions chorégraphiques claires et variées. La complicité qui se crée entre les deux interprètes joue beaucoup sur la drôlerie des partitions. Ouvrez !, est un spectacle sensible qui nous permet d’explorer des corps fluides, liquides, évanescents, exultant avec finesse et gaieté.
Pina Jackson in Mercemoriam – Foofwa d’Imobilité
Danseurs forever
Danseur-ovni, peut-être est-ce ainsi que l’on pourrait qualifier Foofwa d’Imobilité. Avec ce nouveau spectacle Pina Jackson in Mercemoriam, on comprend très vite qu’il s’agit d’un hommage à ces trois danseurs chorégraphes morts en l’espace d’un mois en 2009.
Foofwa d’Imobilité nous invite à une approche parodique de la Divine Comédie de Dante. Il convoque Pina Bausch, Mickaël Jackson et Merce Cunningham tout d’abord au dancerfer, avant de juger chacun d’entre eux par l’opinion publique et enfin de les faire accéder au danceparadis. Il nous présente ainsi en desesperanto (une langue qu’il a inventée, un langage corporel caustique) ces trois artistes majeurs. Il les imite, les malmène avec férocité et amour. Moments désopilants où il fait parler les poumons de Pina Bausch ou encore les os de Merce Cunningham. Il n’hésite pas à appuyer là où ça fait mal comme lorsqu’il évoque le rapport de Mickaël Jackson avec les enfants. On rit, d’un rire parfois sévère, parfois cynique, mais on sent de par l’évocation des travers de chacun des danseurs, l’amour qu’il porte à ces trois grands et à l’oeuvre qu’ils ont créée. Des lumières jaunes rouges bleues façon boîte de nuit disposées sur le tapis blanc délimitent l’espace du dancefer ; Foofwa d’Imobilité est recouvert de bandelettes tel un grand blessé, ce sont les quelques artifices auxquels cèdent le chorégraphe danseur. Artifices qui nous font basculer dans son univers loufoque et ludique complètement décalé. On perçoit dans cet univers fantasmagorique l’essence de la danse contemporaine et classique. Il s’est approprié les bases de ces dernières (il a travaillé 7 ans avec Merce Cunningham) afin de mieux les détourner ou de les mettre au service d’une danse extravagante et farfelue.
L’univers de Foofwa d’Imobilité mérite intérêt et attention. Il permet d’envisager la danse autrement, comme un moyen de dédramatiser les cadres parfois trop rigides dans lesquels on voudrait l’enfermer.
Fanny Brancourt – Centre national de la danse, Pantin (Avril 2011)
©Laurent Paillier