A la mémoire de Martha
Que peut-il bien se cacher derrière Martha Graham Mémorias, biographie chorégraphique dédiée à la figure de proue de la danse américaine, pensée par le metteur José Possi Neto et le chorégraphe Anselmo Zolla, inconnus en France, et dont la compagnie fait ici ses premiers pas à Paris ? Si l’exceptionnelle carrière de la chorégraphe américaine a marqué indéfectiblement de son empreinte l’histoire artistique du XXème siècle, la vie de Martha Graham porte t- elle en elle le suc nécessaire à ce genre de grande fresque ? Pas sûr.
De son enfance en Pennsylvanie à ses rencontres décisives avec le musicien Louis Horst et le danseur Eric Hawkins, illustres amours incandescents, Martha Graham Mémorias revisite une vie entièrement consacré à la danse, sans réelles soubresauts pourtant nécessaires à tout biopic relevé. Une dizaine de saynètes, encadrées de deux « démonstrations techniques » enfilant de manière aléatoire les fondamentaux de la technique grahamienne, brossent ainsi 97 ans d’une vie. L’imposant et sobre dispositif scénique sert ici de cadre à une « revisitation » aussi hasardeuse qu’absconse. « Brésilienne » nous précise t-on.
Dans une pénombre qu’aucun projecteur ne saura dissiper pour mieux laisser entrevoir les indéniables qualités techniques du corps de ballet, l’œuvre nous présente Martha la jeune fille, guillerette danseuse, Martha la femme transie d’amour passionnel ou Martha la philosophe vieillissante et célébrée. Le pari d’éviter « toute imitation du travail de Martha Graham » est ici relevé, celui de narrer le cheminement d’une vie peine, lui, à s’établir. En sortant du théâtre, le spectateur ne saura rien ou pas plus de la chorégraphe. Il aura certes entendu, à plusieurs reprises les maximes bien pensées de l’artiste (en voix off), entre-aperçu des bribes d’une technique immuable, assisté à de laborieuses variations désuètes (Le cirque/Le Vaudeville) ou de plus subtiles (réinterprétation de Lamentation qui n’arrive cependant pas à sauver l’ensemble).
Martha Graham restera au terme de cette heure et demie un mystère insondable, laissant son impressionnant corpus d’œuvres parler pour elle, d’elle. Les danseurs du Studio 3 Cia, à la solide technique, n’en sont nullement responsables : il est des icones qu’on ne peut décemment approcher. Du moins pas avec une telle approche. Le travail de la jeune chorégraphe française Pasqualina Noël est à ce titre bien plus inspiré. Martha Graham beyond, sa première œuvre, propose, elle, une relecture contemporaine saisissante de la papesse de la danse moderne.
Cédric CHAORY, Théâtre de la Porte Saint-Martin Paris (juillet 2011)
©Costas