Just to wait ?!
Héla Fattoumi et Eric Lamoureux réunissent pour Just to dance…, neuf danseurs : trois congolais, trois français et trois japonais. La danse est bien évidemment le langage qu’ils partagent. Ils viennent se présenter les uns après les autres, énoncent leur nom, leur origine et développent en même temps une gestuelle singulière. La proposition est simple, chacun a la place de s’exprimer en tant qu’individu tout d’abord, en tant qu’individu appartenant à un territoire et une culture ensuite, enfin en tant qu’Humain parmi les Humains.
La proposition est simple et en même temps complexe. Complexe, tout d’abord dans la difficulté qu’elle comporte à réunir concrètement tous ces danseurs venus d’ailleurs. On connaît les difficultés de plus en plus grandes auxquelles doivent faire face les artistes qui veulent travailler avec d’autres artistes étrangers (problème de visas). Le désir de réunir différents danseurs issus d’horizons divers devient un acte éminemment politique, citoyen, avant même d’être artistique. A ce propos, le duo de chorégraphes nous fait entendre la voix d’Edouard Glissant qui défend l’idée que le poétique est toujours en prise avec le politique. Cette démarche est donc à saluer tant elle nécessite un engagement total et une volonté considérable, celle de ne jamais baisser les bras.
Démarche complexe aussi car avec la danse pour langage commun, comment les danseurs peuvent-ils nous faire partager leurs singularités identitaires et leur appartenance à l’humanité ? Héla Fattoumi et Eric Lamoureux nous font part de leurs perceptions de ces rencontres dansées et musicales (la création musicale et son interprétation est due à Camel Zekri et Dominique Chevaucher. Présents tous les deux sur scène, ils créent un univers musical et sonore plein de couleurs) en trois tableaux.
Le premier tableau serait celui énoncé plus haut des présentations de chacun des danseurs. Le deuxième concernerait une mise en exergue des préjugés et perceptions que l’on a de notre prochain (de notre prochain étranger). Enfin, le troisième tableau s’attacherait à montrer qu’une vraie rencontre est possible et que le vivre ensemble est à notre portée.
Dans le premier tableau, on se laisse emporté par des gestuelles très variées. La plupart des danseurs sont jeunes et l’on sent chez chacun d’entre eux l’envie d’être là, d’être traversés par la danse et de partager ce désir commun. La sensibilité de chacun s’exprime. Le jeu prend forme, des joutes gestuelles se développent mais s’arrêtent un peu vite. Pourtant l’idée intéressante poussée un peu plus loin, plus longtemps aurait-pu être l’occasion d’une rencontre encore plus forte entre ces danseurs et leur univers.
Dans le deuxième tableau, le ton se veut plus drôle, plus décapant. Et c’est sans doute là que le spectacle commence à perdre les promesses qu’il nous faisait entrevoir dans sa première partie. On comprend très vite qu’il est question de nous renvoyer les stéréotypes, les fausses ou les seules images que l’on peut avoir d’un étranger et de tout l’imaginaire qui se crée à sa rencontre. Les danseurs se présentent de nouveau un par un, ou en duo de manière caricaturale costumes à l’appui. La caricature est bien ce procédé qui consiste à accentuer au maximum les traits d’une personne, pour en rire tout d’abord et donner à réfléchir ensuite. Ici, on arrive quelque peu à s’en moquer mais à prendre la distance nécessaire pour s’en détacher et s’interroger un peu moins voire pas du tout. L’art est un moyen incroyable de transcender la réalité pour tenter de la rendre intelligible ou pour s’en distancier. Héla Fattoumi et Eric Lamoureux appuient ces traits caractéristiques des différentes cultures qu’ils convoquent avec peu d’inspiration. On ne dépasse pas le premier degré, et c’est vraiment dommage. Même si l’on sent que tout ce qui est évoqué ici (le noir footballeur, le japonais samouraï, la blanche BCBG….) n’est pas sans fondement, parce que présents à l’esprit depuis longtemps, on ne peut rester à cette caricaturale perception.
Gregory Maqoma (et il n’est pas le seul danseur qui dénonce ces préjugés) dans son solo Beautiful Me, fait lui aussi référence à des stéréotypes dans lesquels l’être humain aime à cloisonner son voisin. Il évoque l’exotisme, les roulements de bassin qu’on s’attend toujours à voir chez les danseurs africains. Comme si la danse africaine ne se résumerait qu’à cette gestuelle. Mais il dépasse le simple constat, en emmenant sa danse plus loin que les stéréotypes. Il nous invite à envisager les choses autrement. Et c’est ce qui semble indispensable dès que l’on crée une oeuvre. Dépasser la réalité pour en faire autre chose. Cette autre chose dont on n’est jamais certain mais qui mène l’artiste et emmène par le fait celui regarde l’oeuvre.
On sent chez les danseurs comme chez les musiciens cette volonté de dénoncer le cadre dans lequel chacun ne serait autorisé à s’exprimer, et l’envie sous-jacente de s’en extirper mais la mise en scène de tout ce cheminement ne prend pas. La caricature poussée à son paroxysme n’est alors pas si drôle et annule l’effet qui pourrait s’en dégager.
Enfin dans le dernier tableau, il semble que tout le monde se retrouve en duo, trio, quatuor, dans une énergie commune. Les danseurs sont tous ensemble sur le plateau. Les gestes se répondent, s’échangent, se font écho. Ayant donné beaucoup d’eux mêmes dans les deux premières parties du spectacle, on sent un décalage entre les uns et les autres. L’unisson est diffus. L’énergie se tarie bien que Dominique Chevaucher et Camel Zekri (musiciens, interprètes formidables) redonnent un élan et une couleur musicale forte jusqu’aux dernières notes lumineuses.
Fanny Brancourt (Novembre 2011)