Vaste sujet que celui du port du voile intégral, auquel Héla Fattoumi et Eric Lamoureux s’attaquent. S’attaquer, semble être le mot juste. Difficile de ne pas prendre le sujet à bras le corps. Car il s’agit bien ici de corps, le corps de la femme en l’occurrence. Ce corps que certains hommes, dictés par des lois divines (en fond de scène, le duo nous propose de lire quelques unes de ces sourates faisant référence aux comportements que doivent adopter les femmes musulmanes) veulent soumettre et cacher pour empêcher toute tentation. Il ne s’agit pas tant de cacher ce qui semble être l’objet de la tentation, que de réfréner les pulsions, quand pulsions il y a. Au lieu de s’interroger sur soi et sur les façons de vivre ensemble, on impose à l’autre des façons de faire et d’être.
Après des images bouleversantes de femmes et de bébés voilés, commence une danse effrénée. Sur des percussions explosives, la femme n’est plus que voile. Et ce voile ne laisse plus transparaître grand-chose. On devine des fesses mais, aucune partie du corps n’apparaissant vraiment, on ne sait plus de quoi il s’agit.
Héla Fattoumi instaure un malaise. Les percussions cessent, pour laisser place aux yeux d’une femme. Elle nous regarde fixement nous interroge. Le malaise grandit. Le corps de la femme n’existe que sous cet énorme tissu. Le voile crée un espace contraignant, compressé. On comprend dès lors qu’elle ne pourra se mouvoir que de manière très lente et peu efficace. La précision ne peut exister que dans un rythme délayé. Le temps devient long pour la femme qui porte le voile, les tâches répétitives paraissent impossibles dès que la cadence s’accélère, le corps ne peut jamais vraiment exulter. Il est définitivement nié.
Finalement la répétition de certains gestes incite la femme à se défaire de son énorme carcan. Elle explose enfin. L’épouse, mère et femme de maison qu’elle est (et non pas femme tout simplement), retrouve un peu de liberté dans son pyjama et se permet alors d’être dans un autre rythme que celui qu’on lui impose. Elle saute à la corde à sauter comme une jeune fille jusqu’à l’ivresse. La femme voilée se transforme alors en femme. Vêtue d’un jean, d’une chemise rouge et de talons hauts, elle parle enfin, elle chante même.
Héla Fattoumi cite alors, sur la chanson This is a men’s world, les noms de femmes célèbres qui se sont battues pour la liberté, pour leur émancipation. Sa danse prend une amplitude plus grande et fait résonner le combat de nombreuses femmes qui survivent pour exister, pour être libres de toute persécution d’où qu’elles viennent.
Ce solo parle d’un sujet actuel le port du voile intégral, mais il évoque de manière plus large, à mon sens, l’imposition de contraintes et de lois d’hommes sur des femmes. Héla Fattoumi choisit l’axe de la religion musulmane pour exposer cette coercition que subissent les femmes actuellement. C’est pour moi un état des lieux fort sur la condition des femmes, dans une époque où celles-ci vivent des régressions très fortes quant à leurs droits.
Fanny Brancourt – Théâtre de la Cité Internationale (avril 2010)
©Laurent Philippe