« Regarde, Regarde encore« , voici l’invitation à laquelle nous convie le tandem De Perrot et Zimmermann. Le premier est musicien compositeur, le second crée des décors et des mises en scène. Le duo est parti à la rencontre d’artistes marocains, des acrobates issus du groupe acrobatique de Tanger. Le fruit de cette rencontre est déjà la première belle idée de ce spectacle. On nous fait voyager dans un univers méconnu, le quotidien d’une ville, le quotidien de ses habitants mais aussi les rêves et désirs de chacun d’entre eux. Les douze acrobates sont à la fois les protagonistes et les spectateurs de ce voyage. Ils sont unis par leurs voix et les chants qui en émanent, ainsi que par leurs corps sur lesquels ils s’appuient pour rebondir, pour être en marche dans un monde pas toujours facile d’accès selon qu’on naisse de tel ou tel côté de la mer.
L’autre belle idée concerne le décor, lui aussi en mouvement, dans lequel les acrobates évoluent. Cinq grandes tours en bois mobiles sont déplacées dans tous les sens afin de créer des espaces différents et de changer les points de vue. Au début du spectacle, les tours servent de paravents pour un jeu de cache cache avec les interprètes. Apparitions, disparitions, l’illusion opère. Pendant que les uns se cachent derrière les tours pour apparaître avec un objet incongru, ou pour laisser place à une autre personne, certains se lancent dans des figures acrobatiques individuelles ou collectives. La force de ce collectif est l’addition de toutes ces individualités au service du groupe. Elle se concrétise d’autant plus que les figures les plus impressionnantes se font avec le concours de chacun. Pour que la tour humaine atteigne des sommets il faut que chacun participe et soit au service de celui qui se rapproche un peu plus du ciel.
Les acrobates nous dessinent un monde en mouvements, un monde au langage particulier. La mise en scène De Perrot et Zimmermann, fait aussi la part belle au chant. Les acrobates du groupe de Tanger chantent et appuient ainsi les moments collectifs mais ils dessinent aussi des destins individuels, celui notamment d’une femme voilée. Elles sont deux femmes dans ce groupe d’acrobates. Deux petits bouts de femme, à la féminité affirmée, qui portent les hommes sur scène comme elles les portent dans la vie partout dans le monde. Chaque scène est l’occasion de mêler rêve, absurde, tendresse, combat au quotidien.
De Perrot et Zimmermann agitent des clichés folkloriques pour les retourner. Ils s’en amusent les déplacent pour en changer le point de vue à l’image du décor. Les grandes tours en bois peuvent être une fois retournées la maison de tous, leurs toits permettraient d’atteindre un eldorado possible. Elles s’individualisent, s’agrègent, offrent la possibilité d’être ensemble ou de se retirer du monde. Elles sont ce que l’on en fait. Ce spectacle est une aventure collective qui nous emmène loin dans notre rapport au monde et aux autres. On s’interroge sur ce que l’on voit à première vue et sur ce qui se cache derrière. Il n’y a aucune lourdeur dans ce qui nous est proposé. Les choses peuvent être légères et néanmoins solides, si l’on décide de les prendre comme telles. A la manière de ce grand sac qu’on a l’habitude de voir chez les migrants de toutes sortes et qui peut être le support d’un élan vers d’autres cieux, et pas forcément ceux que l’on croit. (Dans l’une des dernières scènes les acrobates tendent le sac de voyage en plastique, comme un trampoline, pour permettre à deux d’entre eux de s’envoler.)
Fanny Brancourt – Juillet 2010
©Christophe Raynaud de Lage