Laisser advenir … le rien
Wu-Wei, dernier spectacle de Yoann Bourgeois et Marie Fonte, est une collaboration entre onze artistes de l’école d’art de la ville de Dalian en Chine et huit musiciens du Balkan Baroque Band. « L’argument », dixit le livret distribué, de cette création vise, à travers l’histoire individuelle de chinois d’âges différents, à nous relater la grande Histoire de la Chine comme la fondation de la République populaire, Tien’amen, les jeux olympiques de Pékin…
Projet ambitieux et néanmoins louable. Après tout pourquoi pas ! Partir du singulier pour comprendre une société. Mais lorsque cette exposition est appuyée et ne mène à rien, la proposition devient tout de suite inintéressante. Ce qui est d’autant plus irritant lorsque l’on voit les moyens (humains et matériels) mis en œuvre pour une telle entreprise.
Concept issu de la philosophie taoïste, Wu-Wei désigne un état d’équilibre parfait, où l’homme est en harmonie avec la nature. Le principe est de ne pas intervenir, afin de pouvoir laisser advenir. Yoann Bourgeois et Marie Fonte partent donc de ce concept pour nous faire voyager entre histoires individuelles et collectives au travers du geste dansé, acrobatique, théâtralisé, et la musique baroque. Il est étonnant de voir comment ce dialogue se met difficilement en place. La faute sans doute à une mise en scène appuyée. Et l’on perçoit cet égarement dès les premières minutes du spectacle lorsqu’on entend les paroles de la voix off. Une voix off complètement désincarnée qui laisse elle aussi advenir, qui ne fait que dire ce qui est écrit en fond de scène et qui est quelques minutes plus tard exprimé par les interprètes. Si jamais votre imaginaire cherchait à vagabonder, il est immédiatement remis à sa place. On ne vous laisse pas le choix. Pensée unique pour tout le monde. Si vous n’avez pas compris les paroles de la voix off, les textes projetés sauront vous en faire part et si jamais le propos n’était encore pas d’une grande limpidité, pas de soucis, les artistes vous le réaffirmeront en direct. Quelle lourdeur !
Ce spectacle tente de s’émanciper de nombreuses images d’Epinal liées à la Chine, en axant le regard sur des individus, cherchant par là-même à rompre la massification de ces derniers, mais en tout point il n’y parvient. On a donc le droit, toujours avec de superbes costumes et accessoires, au personnage du dragon, aux bicyclettes, à une danse de bâtons… Mais rien qui nous accroche réellement et nous emmène ailleurs.
Il ne suffit pas de faire courir les artistes sur scène sur des envolées « vivaldienne » pour donner force et rythme au spectacle, qui en est totalement dépourvu. On va d’étonnement en étonnement, lorsque par la suite l’orchestre en bord scène se met à s’accorder et qu’un homme seul sur le plateau effectue en cercle, une série de sauts horizontaux. Les uns et l’autre sont dans leur monde aucune connexion ne se fait. Peut-être un choix ?
Mais alors allons-y accentuons la situation. Jouons de cet improbable dialogue, de cette confrontation au temps commune à la musique et à l’acrobatie. Trouvons des liens dans la différence ou l’absence d’attention. Il faudrait de plus ajouter qu’à tout cet encombrement esthétique et conceptuel, qu’à aucun moment le travail des artistes chinois n’est mis en valeur. Les quelques numéros proposés sont tellement mis en scène ou cherchent tellement à ne pas être des numéros qu’on reste sur notre fin. L’éclat, l’étincelle ne surgissent jamais. Dommage pour un spectacle vivant.
Peut-être cette super production (présentée près de quinze jours dans la Grande Halle de la Villette) relève-t-elle d’un égarement dans le travail pourtant sensible et fin de Yoann Bourgeois ?
Fanny Brancourt Les Gémeaux Sceaux (Novembre 2012)