Faces – Maguy Marin

Je suis vous, je suis nous, je suis un parmi vous

Là aussi, mais dans un autre registre que Love (la pièce de Latifa Laâbissi et Loïc Touzé), Faces, nous entraine dans un processus qui nous tient en haleine du début jusqu’à la fin de la représentation. Créée en 2011 pour le ballet de l’Opéra de Lyon, cette pièce fait l’ouverture de la carte blanche dédiée à Maguy Marin lors du Festival d’automne 2012.

Les vingt-sept danseurs s’emparent du plateau avec une présence évocatrice forte. Leur nombre permet à la chorégraphe de créer des images, des focus sur des instants de vie d’une société ou d’individus. C’est là le cœur du sujet, l’individu et le collectif. Ce que l’homme est capable de faire avec ses semblables et comment il s’en affranchi pour rester lui-même. Un être singulier.

Comment un + un font deux, voire plus. Et comment de ce plus, on se retrouve un ? A la fin du spectacle, les danseurs regagnent un par un les coulisses, et chacun de leur visage est filmé en plan fixe, comme un portrait. L’identité qui constitue la masse apparaît. Lorsque le groupe se défait que reste-t-il ? L’homme, l’individu, un et unique.

Faces, consiste en un enchainement de scènes. Chaque moment d’une relative pénombre, permet d’élaborer une image, où tout se fige. Des hommes et des femmes se déplacent, s’organisent pour faire exister des personnages,  un révolutionnaire, un roi, un dieu… des figures emblématiques de nos sociétés. Mais émergent aussi des scènes de danse collective, de liesse autour du football, de femmes voilées, d’après guerre, ou encore cette masse d’individus buvant du coca-cola (et ayant sans doute un temps de cerveau disponible dans cette société consumériste où rien n’est gratuit).

Maguy Marin opère un arrêt sur image de notre société et de ses paroxysmes. De ce qu’elle génère individuellement et collectivement de positif et de négatif.

Le dispositif scénique participe à la mise en scène de chaque image. Le plateau complètement ouvert laisse apparaître les penderies avec les différents costumes et accessoires qui vont être portés et utilisés. Un piano sans pianiste joue une musique récurrente qui s’immisce de temps en temps dans un silence relatif et/ou dans la bande son chargée de nombreuses informations, journaux télévisés, bruitages, musiques de variétés, paroles… Enfin de chaque côté du plateau des télévisions (sans qu’on sache d’où viennent réellement les caméras qui y sont reliées) diffusent ce qui se joue sur scène. La société elle-même ressemble à un jeu de télé-réalité. Certains individus sortent du groupe, d’autres s’y soustraient. Les efforts des uns pour se démarquer sont semblables à ceux voulant se fondre dans la masse. Le corps fait corps.

Au début de la pièce, on est dérouté par ce processus répétitif, de ces images qui apparaissent et disparaissent. De ces danseurs immobiles, qui ne bougent que lorsqu’on ne peut plus les voir. La curiosité s’aiguise. Qu’est-ce qui se passe avant et après le focus qui est mis en lumière ? Comment les hommes et les femmes s’organisent pour faire naître telle image ?

Alors ce qui est vu comme ce qui est caché suscite de nombreuses questions sur ce que nous sommes. Sur les actions que nous menons, ou pas, au cours de notre existence à l’intérieur de l’entité société. Vaste programme abordé par Maguy Marin avec beaucoup de subtilité et sans tabou.

Fanny Brancourt (Octobre 2012)

©Jean-Pierre Maurin