
Laginkadak ou la vitalité d’une tradition réinventée
Laginkadak, voilà une belle entrée en matière pour quiconque découvre la compagnie Kukai Dantza, fondée en 2001 à Errenteria (commune du Guipuscoa dans la communauté autonome du Pays basque) par le danseur et chorégraphe Jon Maya. Sa réputation n’est plus à faire : allier danse traditionnelle basque et écriture contemporaine avec un style reconnaissable et international, tel est le pari réussi de la troupe.
À l’origine pour le festival biarrot, la compagnie devait présenter Txalaparta, œuvre co-écrite avec le chorégraphe espagnol Jesús Rubio Gamo mais pour des raisons artistiques, c’est Laginkadak qui s’est imposée in extremis. Un titre qui, traduit via le web pour l’ignorant que je suis en euskara, signifie « échantillonnages » : un pot-pourri donc, qui, pour le spectateur non familier avec Kukai Dantza, se révèle aux mille senteurs.
Laginkadak est une mosaïque construite à partir de fragments d’œuvres signées par des chorégraphes invités : Marcos Morau (Oskara), Cesc Gelabert (Gelajauziak), Sharon Fridman (Rritu) ou Martin Harriague, agrémentés de variations de danses traditionnelles. On y perçoit la vitalité d’une culture qui n’appartient pas au passé : la virtuosité des sauts, la densité des pas, la force des symboles comme le ziripot ou le zaldiko.
L’œil est happé par la précision des gestes, la tension des corps et le dialogue constant entre tradition et contemporanéité. Le noir des pantalons et t-shirts, relevé par des touches rouges — jupe, gilet, ceinture, lacets — joue avec les contrastes, tandis que chants ancestraux et nappes électroniques créent un paysage sonore inattendu. Ici, le lien entre les interprètes se tisse par le langage des pas : un vocabulaire familier mais exploré autrement, enrichi par des gestes du quotidien, du travail ou des sports basques.
La pièce déploie sa beauté comme une sculpture vivante : abstraction, déconstruction et réinterprétation coexistent sans jamais trahir l’âme basque. Qu’il s’agisse de Gelabert, Morau ou Fridman, invités à revisiter la tradition, chacun accomplit sa mission avec brio. Quant à Jon Maya, interprète et chef d’orchestre de cette exploration, il confirme que la tradition vit pleinement lorsqu’elle est confrontée au regard contemporain.
Tout aussi important : Kukai Dantza ne se limite pas au spectacle. La compagnie porte aussi un engagement social et éducatif, valorisant la culture basque et tissant des liens au-delà de la scène. Avec Laginkadak, elle prouve que sa vitalité réside dans sa capacité à se réinventer, à inviter des chorégraphes contemporains tout en préservant la spécificité de son identité.
Là, elle donne à voir deux créations de son cru : Bihar Arte mais aussi Euskorleans, qui combine musiques et danses basques populaires avec les mélodies d’un dixie band à la Nouvelle-Orléans. Si le public, calé dans le moelleux des fauteuils du Casino, ne goûte pas aux joies des représentations en plein air, une des marottes de la compagnie, il n’en reste pas moins électrisé et emporté par les élans de cette généreuse troupe. On applaudit à tout rompre pendant la représentation, et la standing ovation finale célèbre cette belle leçon de modernité enracinée, reçue comme une danse de lumière et
d’histoire. Un pont entre Euskadi et le monde.
Cédric Chaory
© Stéphane Bellocq
Vu au Casino de Biarritz le samedi 6 septembre 2025 dans le cadre du festival Le Temps d’aimer la danse