Une maison est à louer. Nous sommes dans le salon, la maitresse des lieux, une artiste, nous conte l’histoire d’une cantatrice sur le déclin. Cette dernière aurait pu vivre dans ce salon, lui aussi vieillissant et dépassé. La vie de la soprano semble sans cesse lui échapper. Elle ne maîtrise que sa voix. Les personnes qui l’entourent lui importent peu. Notamment cet enfant, son enfant, qui ne cesse de lui courir après et qu’elle ne sait accueillir et reconnaître. Ou encore cet homme (home) qui la suit partout sur lequel elle s’appuie à loisir, dans les moments douloureux. Sans vraiment l’épargner.
Les personnages du présent se mêlent à ceux qui nous sont contés. L’espace est habité par toutes sortes de vies. Des vies humaines qui viennent visiter la maison à louer, tout comme ils visitent la cantatrice. Des vies animales, à la manière de souris, d’étranges personnages à quatre pattes, se faufilent derrière les meubles et participent aux vies hantées émanant de ce lieu.
Le personnage d’un tableau accroché au mur, tombe. Tout est incertain et déconcertant. Ce salon est complètement suranné et vieillot et pourtant la vie s’y incruste. Elle est partout, elle nous échappe. A chacun de s’en accommoder le moins mal possible.
Histoires dans l’histoire, les deux metteurs en scène de A louer, Gabriela Carrizo et Franck Chartier, nous invitent à un voyage ou plutôt à des voyages. Entre conscient et inconscient. Nous cheminons entre réalité et fiction, présent et passé. Dans le in et le off des personnages. Grâce à une bande son riche (sons déformés de vinyles, musique électronique et arrangements d’instruments classiques), nous avons autant affaire aux pensées des personnages qu’à ce qu’ils vivent dans l’instant présent.
A louer est à l’image des derniers spectacles (Le salon, Le jardin, Le sous-sol ou encore 32 rue Vandenbranden) du collectif flamand. Une œuvre emplie de cinéma, par ces aller et retour permanent entre fiction et réalité, ces focus ou plans larges, ces champ contre champ et ces hors champs.
Tout participe à la création d’une œuvre totale. Œuvre qui fait appel aussi bien au théâtre, à la danse et au chant, qu’à une esthétique cinématographique en partie due aux lumières et au décor. Tout est mesuré, millimétré et pourtant aucune pesanteur dans cet univers qui nous est offert. On passe du gag, le servant, en déséquilibre permanent (impressionnants que les corps de ces deux danseurs qui semblent désossés, dont on aurait ôté les articulations et qui se meuvent à la manière d’élastiques), qui apporte le thé de madame, celle-ci qui jaillit tel un lapin sur le canapé, à des moments douloureux où Jos (les personnages sont tous appelés par leur véritable prénom, là encore fiction et réalité se confondent), le fils de la cantatrice est complètement nié.
Ce mélange des arts et la qualité des interprètes comme des techniciens (son, lumière, décor, costumes) participent à la puissance de création du collectif Peeping Tom. Chacun a sa place et est au service d’une narration qui raconte toutes nos peurs, nos angoisses, d’un temps qui passe, d’émotions qui nous traversent. De cette incapacité qu’a l’homme à retenir les choses. Qu’elles soient matérielles ou non.
Des portes s’ouvrent d’un côté et de l’autre du salon, on perçoit plus ou moins, par transparence ce qui s’y joue, un énorme escalier mène les personnages vers : on ne sait où. Peut-être vers le recul et encore. La vie est constituée de différentes strates, peut-on prendre suffisamment de recul pour en être maître ? On croit parfois pouvoir fuir la réalité en ouvrant une porte, mais celle qui suit nous y ramène. Il est temps de faire avec.
Fanny Brancourt – Théâtre de la Ville Paris (Mai 2012)
©Herman Sorgeloos