
Amour, humour : Riéjoussant !
Sylvain Riéjou questionne le pouvoir qu’a la danse de générer de la sensualité entre les corps. Sa perception de la séduction s’est construite à travers des films des années 80, nourris de modèles hétérosexuels très normés et souvent fictifs. Entre réalité et fantasme, il explore la confusion des genres et le trouble du désir. Pour la première fois, il convie d’autres danseurs et danseuses sur scène pour provoquer ces rencontres physiques. Cette pièce marque aussi la transmission de ses danses : des gestes simples, précis, en dialogue intime avec la musique. Irrésistiblement drôle !
Cela fait sept ans et demi que Sylvain Riéjou est en création (blague). Le sujet de sa pièce « explorer les danses d’amour, celles que l’on voit dans les films romantiques. Enfin il pense que c’est ça son sujet. « C’est du théâtre public, on cherche, on n’est pas là pour trouver », lâche-t-il dans un souffle. Et il doute, encore et toujours. Alors il prend son temps, compose, décompose, recompose, change d’avis, puis recommence. Ça l’oppresse. Il hyperventile presque mais c’est douleur nécessaire, car chercher, c’est aussi ne rien figer. Pendant ce temps, ses interprète (TOUS EXCELLENTS), eux, explorent. Cherchent. Font circuler les énergies, comme disent tous les chorégraphes.
Et quelles énergies ! Il s’agit de sortir du cliché hétéronormé, de bastonner l’amour, de dézinguer les stéréotypes romantiques jusqu’à la moelle. Pour fil rouge : Patrick Swayze et son Dirty Dancing bien sûr — Bebe et Johnny Castle revisités jusqu’à la moquette de la chambre du prof de danse — mais aussi Ghost, avec sa scène de poterie, sommet kitsch de l’érotisme hollywoodien où la gestuelle, ici, retrouve tout son sens. Sylvain Riéjou ne se contente pas de rejouer le mythe, il le démonte, le remonte, le torsade et le lypsinc en VHS pour mieux le renvoyer à notre époque post-#MeToo, où le consentement ne rigole plus.
D’ailleurs, sa comédienne Clémence Gaillard refuse d’embrasser sa partenaire. Qu’à cela ne tienne : Sylvain lui suggère de le prendre comme une expérience « bucco-chorégraphique », un danse-contact de la langue. Bienvenue en 2025, où la frontière entre scène et vie privée se traverse sous contrat moral et réflexions de plateau. Car on questionne tout : genre binaire ou non-binaire, asexuel, polyamoureux ou cisgenre et toute la clique des .ses pour éviter l’offense. Rien n’est figé, tout se creuse, se cherche. Encore et encore.
Le spectacle lui-même est un patchwork délicieux : un peu « Au théâtre ce soir », un peu conférence dansée, un peu show TV. Un hybride qui manie humour et auto-dérision avec une désinvolture qui n’est qu’apparente. On saute du rock and roll au cabaret, de la danse jazz à Merce Cunningham, de Bagouet à Anne Teresa De Keersmaeker, Odile Duboc, Roland Petit, Daniel Larrieu, Hervé Robbe, jusqu’aux Sylphides romantiques. Tous croqués d’un geste, d’une anecdote, d’un clin d’œil.
Et surtout, Sylvain Riéjou se met en scène, encore et toujours. Il parle de l’amour « fantasmé, vécu et celui qu’il vit ». Son Patrick Swayze d’adolescent, ses slows ratés, ses tentatives de danser avec son double virtuel (mauvaise idée) ou avec le génial Julien Gallée-Ferré (pas mieux), ou encore avec Emilie Cornillot — là encore, ça « ne marche pas super ». Il faut tout déconstruire, trop de traumas, trop d’enjeux. On rit quand même, beaucoup. Les saynètes dansées, stylisées, jouent littéralement avec la musique, collent le geste à la parole. Le public oscille entre hilarité et vertige.
Et puis, il y a ce running gag irrésistible de la pause : « Ça va ? Vous ne voulez pas une pause ? » On rit surtout si l’on connaît les affres du studio, on rit aussi si l’on n’en sait rien. Car ce « Je badine avec l’amour » raconte surtout la place de l’interprète dans la création : doit-il rester à sa place ou peut-il être à l’origine de la pièce ? Ici, chacun est invité à se mouiller — mais pas trop. Et le chorégraphe, lui, navigue à vue, entre fantasme et réalité, recherche de l’amour vrai et mise à distance d’un modèle hollywoodien périmé.
On en sort léger, secoué, un brin ému. Prêt, nous aussi, à badiner — à condition d’explorer, de chercher, et de faire circuler les énergies. Toujours. Même bloqué au sacro-iliaque.
Cédric Chaory
©Vincent Curutchet
Je badine avec l’amour – vu aux Hivernales – CDCN d’Avignon. Jusqu’au 20 juillet, 13h50.