Des ils pluriels
CORPOS, fruit de la collaboration entre les chorégraphes Hubert Petit-Phar (Guadeloupe) et Augusto Soledade (Brésil) est une exploration sensorielle et politique du corps noir masculin. A l’heure de l’année France-Brésil 2025, la création questionne les stigmates, les fantasmes et les clichés qui enveloppent ce corps tout en ouvrant un dialogue profond sur l’altérité, la représentation et l’identité.
Dès l’ouverture, la pénombre du plateau laisse entrevoir trois hommes qui explorent leur propre peau dans des gestes d’ondulation et de caresses subtiles, effleurant les zones les plus tendres de leur corps. L’intimité des contacts contrarie l’attente d’une danse virile et ouvre la voie à une réflexion sur les injonctions imposées aux corps noirs masculins. Ce ballet d’explorations sensorielles se transforme ensuite en un jeu de poids et de contrepoids entre danseurs, où la confiance s’impose comme une nécessité.
L’ambiance sonore, signée Anthony Rouchier, oscille entre un vrombissement industriel lointain et une musique classique étouffée, comme échappée d’un rêve. Ce contraste sonore accompagne une gestuelle tout aussi ambivalente : des pas afro surgissent avec force, ancrés dans le sol, avant de laisser place à des mouvements plus aériens et maniérés, parfois presque baroques. Le spectacle semble jongler en permanence entre l’affirmation et l’effacement, la puissance et la fragilité, la masculinité attendue et sa redéfinition.
Un des moments les plus troublants survient avec l’exécution fugace d’un zouk collé-serré entre deux danseurs. Fugace, sensuel et subversif, ce passage questionne la perception du corps noir dans des cultures où l’homophobie reste prégnante. Il se dégage de cette danse une liberté sincère, une célébration de l’être, débarrassée des connotations imposées par la société.
Si le spectacle excelle dans son langage corporel et sa puissance gestuelle, héritage d’un vocabulaire modern jazz parfaitement maîtrisé notamment par Hubert Petit-Phar, l’introduction de la parole, bien que porteuse de sens, semble parfois superflue. La déclamation de « un chemin, trouver un chemin » suivie de bribes de portugais ajoute une dimension narrative, mais rompt quelque peu avec l’éloquence du mouvement, déjà largement suffisant pour transmettre les questionnements posés.
L’énergie du spectacle atteint son paroxysme avec la séquence des jupes longues bleu nuit et argenté, assorties de bretelles de salopette. Ici, les corps semblent enfin se libérer, bondissant dans une joie communicative, presque rituelle. Mais cette euphorie est rapidement contrebalancée par la brutalité d’une scène où un danseur est traîné par les cheveux, avant de transformer cet assujettissement en une performance magistrale où il use de sa chevelure comme d’un fouet, défiant ainsi son propre statut de victime.
Dans un dernier élan, le spectacle se conclut sur une spirale incessante, un tourbillon de mouvements et de cris en créole et en portugais. Cette dernière explosion d’énergie résume parfaitement la démarche de CORPOS : une danse qui oscille entre l’oppression et la libération, entre l’assignation et l’affirmation de soi. Un spectacle puissant, viscéral et nécessaire.
Cédric Chaory
©David Pochal
Vu au Théâtre du Fil de l’eau, Pantin (janvier 2025)
Tournée : Du 26/03/25 au 28/03/25: Tropiques ATRIUM Scène nationale, Fort de France – MAR ; 01/04/25 : Correspon’Danse – GP ; 03/04/25 : Macte, Pointe-à-Pitre – GP04/04/25 Festival Nou Se Yonn, Basse Terre – GP ; Du 05/06/25 au 08/06/25: Théâtre Macouria, scène conventionnée d’intérêt national, Macouria – GUY ; Octobre-Novembre 2025: Tournée dans le Nordeste Brésil (Fortaleza, Recife, Salvador, Itacalé, Belem, Sao-Paulo …)