Vidéo-danse à Pompidou

De la « Nouvelle danse française » à la nouvelle danse française, le pas suspendu de Michèle Bargue.

Il y a 30 ans, c’est par la nouvelle danse française, représentée par Dominique Bagouet et Philippe Decouflé, que se lance «Vidéodanse ». Ils voisinent avec Balanchine, Kurt Joos, Kazuo Ohno, Cunningham, Pina Bausch.

Michèle Bargue, qui a ouvert cette manifestation et à qui nous devons ce formidable travail de « sociologue d’images » de la danse, quitte ses fonctions cette année. Elle a su en faire un merveilleux outil à la fois historique et créateur puisqu’il a donné un public, à un champ insolite profondément disparate, celui de la danse sous toutes ses formes…et ouvert à tous, là dans le sous- sol du centre Pompidou.

Revenir 30 ans en arrière, revoir les anciennes bobines, voilà l’occupation d’un dimanche quand il fait un peu gris et que les pirouettes souriantes et graphiques de Bagouet et de Decouflé vous attirent comme les petites flammes crépitantes d’un bon feu de bois. Bagouet, dont ma voisine ignore même jusqu’au nom (comme quoi cette manifestation ne doit pas disparaître) est présenté avec trois vidéos : Planète Bagouet de Charles Picq (1994), Tant mieux tant mieux de Dominique Bagouet et Charles Picq (1983) et enfin Jours étranges, une captation de Myriam Copier (2003).

Planète Bagouet est une sorte de déroulé dans l’univers de Bagouet. Il a été tourné quelques mois après sa mort. Voir ce visage enfantin, cette silhouette un peu diablotine avec cette fragilité que  donnent la conscience des lourdes et trop rapides missions conclues par la mort à 41 ans. Voir dans son oeuvre comment sont métabolisés ses souvenirs et son ressenti est toujours quelque chose de profondément émouvant. Burlesque, pétri de cette formation classique,  il va  inventer un nouveau vocabulaire du  mouvement : travail  du centre, justesse des appuis, transfert de poids, rebond, indépendance de la main, du visage, du regard, importance du souffle, importance de l’action et des petits gestes… tout est là dans ses ballets humoristiques, qui avec pudeur infinie, mettent à nu l’univers du danseur; dommage ses danseurs parlent de trop… un peu comme dans le film de Wenders sur Pina Bausch on a envie de les voir eux, eux qui ont disparu…                  

Tant mieux tant mieux ! est un film esthétique, des images échappées de l’âme du chorégraphe et qui mettent en relation la fugacité artistique du mouvement et le quotidien de l’action… leur échange parfois burlesque… La captation me semble moins évidente il n’est plus là et tout date un peu : sans construction véritable, le film s’enlise.

A cette univers du « regard intérieur » s’oppose l’univers de Philippe Decouflé complètement tourné vers la communication: la manipulation des formes grâce à des techniques audiovisuelles, c’est drôle,  mais peut-être un peu « trop »

Tout cela a fabriqué un monde qui s’est mis en marche… voir où en sont les jeunes chorégraphes Daniel Linehan, Trajal Harrel et Nadia Beugré est aussi une réponse de Vidéodanse voulue par Michèle Bargues, qui nous interpelle dans sa continuité…

Laurence Guez, Centre Pompidou, Paris (Avril 2011)

©capture écran Planète Bagouet