Une femme en nuisette, longe les murs. Elle marche d’un pas nonchalant en ronronnant, puis trottine et s’esclaffe, elle s’arrête un instant puis repart. Elle nous interpelle enfin « Aimer être aimé, ça prend du temps… ça coûte tout ça, c’est dur. L’amitié c’est ce qu’il y a de plus cher. On est seul, on est tout seul… On est ensemble et on ne s’entend pas. Qu’est-ce qui t’intéresse dans la vie ? Tu as des amis ?… » Telles sont les premières paroles énoncées par le personnage de Brigitte Seth dans la pièce Genre Oblique. Une pièce qui prend des chemins de traverse. Les danseurs-acteurs et musiciens participent tour à tour mais aussi collectivement à énoncer le droit d’être autrement. La marge coexiste sans cesse avec la norme.
Pour dire ce choix d’être, la compagnie Toujours après minuit rend hommage dans ce spectacle à « Juana la Loca », fille des rois catholiques dans l’Espagne du 15ème siècle. Cette dernière fut écartée du pouvoir pour son trop grand penchant pour l’amour et les arts. A travers ce personnage haut en couleurs, Brigitte Seth et Roser Montllo Guberna nous interrogent sur toutes ces personnes qui sortent de la ligne, des chemins tracés et mille fois empruntés par la plupart d’entre nous.
Une sorte de mère supérieure apparaît à la fenêtre du château et déplore le comportement de la Juana : « Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? ». Mais les réflexions et remontrances de celle-ci ne changent rien, la Juana poursuit son étreinte amoureuse, sexuelle avec son amant. Les corps ne font qu’un, chacun se fondant l’un dans l’autre, avec une douceur et une délicatesse d’une grande poésie. Aucun geste brusque n’a de place ici. Ce corps à corps fait acte de résistance face aux devoirs et façons d’être qu’on exige de chacun d’eux.
N’y a-t-il pas meilleur moyen pour parler de ce qui nous touche, de nos émotions et de nos sensibilités, que de s’attarder sur ces personnes en marge ? Ces personnes qui expriment verbalement et physiquement, ce que souvent l’on vit ou pense tout bas. Il y a en chacun d’entre nous cette faculté à dissimuler ce que l’on ressent, à ne pas extérioriser nos sentiments. Les danseurs-acteurs et musiciens de la pièce sont tous présents pour témoigner avec force de ce qui nous traverse, de ce que l’on cache. Ce sont des personnages en marge qui n’ont pas peur d’exprimer leur être dans sa complexité. Cela apparaît avec éloquence lorsqu’un des danseurs se lance dans une transe énergique appuyée par les percussions de Jean-Pierre Drouet. Chacun est habité par des émotions énormes qu’il laisse exploser à différents moments de la pièce avant de retourner vers le groupe de se solidariser.
Les chorégraphes Brigitte Seth et Roser Montllo Guberna de part leur personnalité et l’entité de leur travail créent avec Genre Oblique une pièce à l’image de leur compagnie. Ce genre d’image que l’on ne peut classer, que l’on ne peut définir une bonne fois pour toute. Sensation très agréable que de naviguer sur ces chemins de traverse avec elles et leurs personnages, pour se laisser aller…enfin.
Fanny Brancourt – Théâtre des Abbesses Paris (mars 2010)
©Brigitte Eymann