Belle endormie
Il est dans notre radar depuis avril 2014. Ce printemps-là Marcos Morau et son collectif valencien La Veronal présentaient à Chaillot Russia, ballet hésitant entre thriller et road movie. Inquiétant, ténébreux, emprunt de l’esthétique soviétique des 80’s (sic), Russia est un choc visuel proposant un irrésistible mode d’expression narratif, apprécié depuis dans Sonoma, son ballet-monde.
Il est donc peu de dire que sa Belle au Bois dormant (commande du Ballet de l’Opéra de Lyon et de La Villette) était attendue. Comment Marcos allait négocier avec ce conte, lui qui affectionne tant l’Histoire et les traditions de sa péninsule ibérique natale ? Oui, comment ? En le déconstruisant et ce de manière radicale. Quitte à se perdre en chemin.
La pièce s’ouvre sur une scène étriquée. Bas de plafond, peu de profondeur. Une fresque panoramique où évoluent quinze danseurs et danseuses, revêtant tous un costume digne des plus délicats tutu des ballets blancs qui auraient fusionnés avec les nippes de La Servante Ecarlate. Leur danse désarticulée enchaîne les spasmes, violents cambrés et expressions de visages outrées. Tout n’est qu’expressivité que des lumières criardes (verte, rouge, bleue) accentuent pendant que tonne une musique électro (point de Tchaïkovski ici !). L’effet est saisissant. Immédiat mais quid du conte ?
En fait Marcos Morau a décidé de ne traiter que d’une infime partie des écrits fantastiques de Perrault ou Grimm. Oublier ici le Prince, les fées- marraines, Carabosse. Ne sera traité que le désespoir de la mère face au mauvais sort infligé à sa fille Aurore – incarnée sur scène par un poupée pantin qui grandit au fil des différents tableaux. Le chorégraphe ira même encore plus loin en décidant de ne pas réveiller Aurore que l’on découvre vieillarde à la toute fin du spectacle.
Cette Belle joue les cartes de la sororité, de la résilience, de l’amour maternel, de l’émancipation. Une Belle post #MeToo en somme. Pourquoi pas mais ce parti pris s’essouffle vite. En effet en faisant fi de toute narration et d’évolution dramaturgique, La Belle tourne vite à vide se réduisant à une succession de tableaux où dans un écrin tout en velours et lumières chiadées se déploie une danse singulière mais bien trop répétitive. Et ce n’est pas le dernier quart d’heure où la troupe met à sac le décor et en profite au passage pour se désaper dans sa course folle et destructrice qui sauve la pièce. Déconstruire le conte ? Le réduire à peau de chagrin ? déconstruire le décor ? Montrer son envers et par là même quelques symboliques du conte ? On tente de comprendre encore ce dernier acte.
De l’haletant beau bizarre qui ouvre la pièce ne restent, à sa fin, que ruine, déception et des pourquoi. Wake up de ce mauvais rêve Aurore ! Wake up Marcos !
Cédric Chaory
©Jean-Louis Hernandez