Bach again
Après Les Six Concertos Brandebourgeois , Anne Teresa De Keersmaeker se tourne encore vers la musique de Jean-Sébastien Bach et invente une forme en perpétuelle transformation. Subtile variation sur le temps qui passe.
Elle y revient encore, Anne Teresa. À Johann Sebastian Bach. Comme une obsession. Après Toccata (1993) puis 4 autres œuvres depuis 2008, la chorégraphe belge poursuit son long compagnonnage avec le compositeur allemand. Elle a beau avoir flirté avec Steve Reich, John Coltrane, Joan Baez, Béla Bartók, Miles Davis, Brian Eno et tant d’autres c’est toujours dans les « labyrinthes structurels » de Bach qu’elle aime se perdre. Qu’est-ce qui la pousse à creuser le sillon de cette œuvre musicale ? Elle avait donné un élément de réponse lors de la création des Concertos brandebourgeois (2019) : « Bach projette sa musique dans un perpétuel mouvement tant sur le plan émotionnel que sur le plan physique. Et voilà pourquoi elle se laisse si facilement danser ».
En effet, tout paraît facile pour Anne Teresa l’interprète. Il faut la voir embras(s)ser la scène de La Coursive dès les premières notes de piano (par Alain Franco, magistral !). Cela fait plus de 6 mois que la sexagénaire n’a pas interprété cette pièce (pandémie oblige) mais la fougue est palpable. Hypnotisante avec sa longue chevelure argent et ce déshabillé noir transparent qui laisse deviner poitrine et corps athlétique, ATDK nous invite là à un événement rare. En effet, après avoir pris la décision d’arrêter de danser Violin Phase – son premier solo – De Keersmaeker nous offre ce soir un dernier solo, comme un adieu qui n’en est pas.
Tout au plus un adieu très heureux car en choisissant Variations Goldberg qui figure parmi les partitions appartenant à la fin de l’œuvre de Bach, la chorégraphe entend célébrer la vie, la fougue, la réinvention de soi dans un déploiement d’énergie qui force le respect.
Fidèle au plus décisif de ses principes (fonder ses chorégraphies sur l’étude des partitions musicales) ATDK traverse avec une présence magnétique une trentaine de variations de toutes natures, osant les changements de costumes déroutants (Du pantalon seventies au short à paillettes disco).
Dans ce solo qui s’apparenterait à la synthèse d’une œuvre, elle revisite forcément son propre vocabulaire. On reconnaît là ce tour en spirale si caractéristique, ici un mouvement de bras et puis ce déhanché … mais c’est faire fausse route de croire que Variations n’est que simple best of. À plusieurs reprises, l’interprète s’arrête de danser face au public, se parlant à elle-même, comptant à voix haute ou redémarrant une phrase chorégraphique comme si elle l’avait « ratée ». Répéterait-elle devant le public ? The Goldberg Variations serait-elle une œuvre work in progress ? Comme des prémices, un nouveau chapitre de sa riche carrière … Espérons-le.
Cédric Chaory
Crédit photo : Anne van Aerschot