le matriarcat au cœur d’Archée
La chorégraphe Mylène Benoît était en résidence à la mi-février à La Manufacture pour sa nouvelle création Archée, pièce chorégraphique et plastique pour 6 performeuses, 1 femme archère et 2 créatrices de musique électronique. Premier regard sur une pièce programmée dans le in du prochain festival d’Avignon.
À l’origine d’Archée, le Japon. Nous sommes en 2017, Mylène Benoît est en résidence à la Villa Kujoyama pour y concevoir sa pièce La maladresse. Un soir elle se rend à une démonstration de kyūdō, art martial traditionnel de tir à l’arc. Ce soir-là, seules des femmes tiraient. Bien plus que par la beauté du geste millénaire et de ses délicats atours made in Japan, Mylène Benoît est interpellée par cet espace exclusivement féminin, espace qui lui apparaissait comme «totalement nouveau ».
Cette expérience est la racine-même d’Archée. La chorégraphe précise : « Il y avait là un lieu, des règles et des rituels ancestraux investis et traversés par des femmes, qui figuraient un monde que j’ai perçu comme une fiction : un lieu du passé ou un roman d’anticipation. Une proposition de matriarcat assurément. »
Mylène Benoit commence à lire des ouvrages et des articles qui nourriront sa pensée autour d’une envie : envisager sa nouvelle création comme une pièce d’anticipation sur la question très ancienne du matriarcat comme organisation alternative du monde. Un projet traversé par une pensée féministe et environnementale qui convoquerait le vertige de nos origines et notre devenir incertain.
Une lecture retient particulièrement son attention: Mythe de la virilité : un piège pour les deux sexes d’Olivia Gazalé, passionnante histoire du féminin et du masculin qui réinterprète de façon originale le thème de la guerre des sexes. Mylène Benoît remonte alors aux sources des déesses préhistoriques, quand les femmes étaient synonymes de régénération et de magie. Quand elles étaient vénérées par les hommes … bien avant qu’elles ne soient invisibilisées dans l’Histoire.
Chant de gorge inuït
À la Manufacture où elle a entamé la deuxième résidence d’Archée après un passage au Centre chorégraphique de Belfort en octobre 2020, Mylène Benoît prend le temps de dérouler tout son argumentaire face à son public. Archée est une œuvre work in progress, en parler est d’ailleurs compliqué pour l’artiste : « D’apprendre que la femme préhistorique a très certainement peint les grottes de Chauvet alors même que depuis ma plus tendre enfance on ne me parle que du rôle central de l’homme préhistorique, de découvrir l’horreur de l’infibulation (ndlr : appelée excision pharaonique) font de moi la maman d’une petite fille très en colère ! Ça m’a vrillé le cerveau toutes ces informations et donner l’envie d’hurler. Et puis de réunir une communauté de femmes pour sonder l’histoire du monde et d’inventer des rituels de réappropriation des gestes féminins disparus de l’histoire officielle de l’humanité. »
Donner de la voix pour rétablir la place de la femme dans l’Histoire, danser et chanter ses louanges tel sera le but d’Archée. Pour ce faire, Mylène Benoît a entamé, avec ses 6 danseuses venues de différents horizons (Taïwan, Chili, France, Japon…), un travail sur le chant de gorge coachée par Marie-Pascale Dubé. Un art hérité des femmes inuits.
À partir de divers chants (de la joie, de l’amour, funéraire ou guerrier, des menstrues…), la chorégraphe va concevoir un chœur féminin mouvant dont les gestes chorégraphiques seront impulsés par l’engagement du corps chantant.
« Nous venons tout juste de découvrir cette technique de chant si singulière. Depuis quelques jours, nous tentons de comprendre toutes nos voix pour mieux énoncer ce que nous avons à dire dans la pièce. » annonce Mylène alors que se placent ses danseuses pour entamer un bref récital. Les déroutantes mélopées se dilatent dans la chapelle du CCN, le public est médusé. Voilà une œuvre qui ne laissera pas indifférent !
La sororité créera Archée à l’occasion de la 75ème édition du festival d’Avignon, en juillet prochain. Mylène Benoît donne alors rendez-vous à l’audience rochelaise : « Le cloître des Célestins où nous allons jouer est comme une maison. Un espace atemporel où peut trouver place notre histoire pleine d’hypothèses. Dépasser l’adversité réciproque, convoquer la mémoire équitable permet de nous réparer, de réarmer ensemble l’avenir des hommes et des femmes, telle est notre ambition. »
Cédric Chaory
Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage