Cédric Andrieux par Cédric Andrieux
À l’occasion du centenaire du chorégraphe Merce Cunningham, Cédric Andrieux danse à nouveau sa vie dans la pièce éponyme de Jérôme Bel. Une œuvre puissante, à la sincérité troublante, qui questionne la pratique professionnelle de la danse contemporaine.
À l’origine de l’amour de la danse de Cédric Andrieux, il y a les propos passionnés de sa maman sur la danse contemporaine française naissante puis les mots, plus martiaux, qu’assène la sévère professeur Lydia Grant dans le générique de la série TV Fame : « Vous voulez la gloire. Et bien ça se paie en une seule monnaie : la sueur ! ».
Seul sur le plateau de La Coursive, le jeune quadra, aujourd’hui directeur artistique de la danse au Conservatoire de Paris, se raconte dans Cédric Andrieux, œuvre signée du chorégraphe Jérôme Bel, créée il y a maintenant 10 ans et qui refait surface à l’occasion du centenaire de la naissance de Merce Cunningham.
Œuvre hybride mêlant confessions et passages dansés, Cédric Andrieux est dans la droite lignée des pièces du même Jérôme Bel Véronique Doisneau (2004) et – dans une moindre mesure – Isadora Duncan (2019) : un regard rétrospectif et subjectif d’un danseur sur son parcours et sa profession. On suit alors le long chemin (de croix) de l’artiste Andrieux. Ses premier pas au Conservatoire de Paris « version française de Fame » où durant 4 années, adolescent, il s’échine à maîtriser les techniques Limon, Cunningham et autre Horton. Il en sort avec un Premier Prix à 20 ans malgré sa détestation du système de note et de classement inhérent à l’établissement. Puis c’est l’aventure new-yorkaise qui débute. D’abord avec Jennifer Muller dont la compagnie vivotante ne permet pas au jeune danseur de vivre de son art. Il pose alors pour des écoles d’art et multiplie les petits jobs jusqu’à ce que Merce Cunningham le repère lors d’une audition. Nous sommes en 1999.
À chaque chorégraphe cité, Cédric Andrieux exécute un extrait de pièces. On savoure alors la délicatesse du geste bagoutien, la liberté et physicalité du mouvement mullerien, l’intransigeance du Biped cunninghamien (1999). « Pour moi c’était abstrait, cérébral, chiant même » lâche l’interprète à propos de la danse du maître new-yorkais et d’enchaîner le geste à la parole en montrant au public un échauffement-type. On y découvre les exercices propres aux dos, les 18 positions de bras, ce qu’est un tilt puis cette manière toute particulière qu’avait de chorégraphier Merce. Diabolique même pour le plus doué des danseurs.
Combien de fois Cédric s’est senti « comme une merde » à New-York avant de devenir, à force d’abnégation et de travail, le danseur emblématique de Merce notamment en décrochant le 1er rôle de Suite for Five, biographie dansée de MC.
Avec Cédric Andrieux, le spectateur découvre – non sans humour – bien plus que les coulisses du métier de danseur. Plus qu’un exécutant qui transpire et halète, il rencontre une personne qui pense son métier. Aussi Cédric Andrieux explique les raisons de son départ des USA pour rejoindre le Ballet de l’Opéra de Lyon. Danser avec Merce Cunningham ne faisait plus sens, il lui fallait se frotter à d’autre univers : celui de Trisha Brown aux mouvement naturels, de William Forsythe et d’un certain Jérôme Bel qu’il appréhende avec The Show mut go on (2004). Il en interprète un extrait sur scène – le Every Breath You Take de Police. Un passage où il ne se passe rien au plateau si ce n’est le danseur regardant son public, éclairé pour l’occasion.
« J’aime bien danser du Jérôme Bel, on n’a pas besoin de s’échauffer, on est sûr de ne pas se blesser » glisse le danseur quand Sting cesse de chanter. Apparaît là dans toute sa splendeur ce qui fut désigné comme la mouvance principale de la danse française des 90’s, initiée par Bel : la non-danse. Une non-danse qui irrita bon nombre de critiques et spectateurs à l’époque et qui ce soir encore semble passablement gonfler les spectateurs qui m’entourent. « Il danse quand » chuchote l’un deux … comme si les nombreux extraits dansés dans le silence ne suffisaient pas à apprécier les incroyables qualités d’interprète d’Andrieux.
Mais comme il le dit lui-même à la toute fin de cette pièce qui porte son nom : « Ce qui intéressait plus que tout Merce Cunningham c’était l’expérience du mouvement sans jugement ». En nous narrant, une heure durant, son destin d’artiste fait de hasards, de rencontre amoureuses, d’expériences humiliantes ou glorieuses, Cédric Andrieux porte au plus haut cette expérience unique. Tout comme Véronique Doisneau en son temps, sa confession est au panthéon des œuvres chorégraphiques de ce début de siècle.
Cédric Chaory
Crédit photo: Marco Caselli Nirmal