Plus belle sera la chute
Sylvain Bouillet, Mathieu Desseigne et Lucien Reynès forment un trio de chorégraphes et danseurs-acrobates. En clôture du festival Shake La Rochelle ils présentent leur deuxième création collective La Mécanique des Ombres, objet dansé non identifié.
Avant d’entrer dans la danse, un vrombissement résonne dans la salle obscurcie : une météorite à l’approche, l’atterrissage d’un engin spatial ? Assurément une ambiance de fin de monde ou … de sa création. Au doute succède l’image fixe de 3 silhouettes masculines au plateau, assises ou allongées dans un carré bordé de blanc. Tous trois vêtus du même jean délavé et d’un sombre sweat à capuche relevé sur une tête masquée par une cagoule noire, il est impossible de les différencier. Il en sera ainsi durant toute la pièce où les seules parties visibles du corps sont les mains et les pieds.
Passé l’effet troublant de la dé-subjectivisation des interprètes, les corps s’animent et les regards du public sont aussitôt aimantés par le ballet de ces seules parties visibles du corps : pieds et mains donc qui entament une musique saccadée à mesure que coudes, poignets et talons frappent le sol.
En unissant avec une réelle grâce énergies de la danse hip hop et poésie du cirque contemporain Naïf Production développe avec cette pièce, récompensée du 1er prix du concours (Re)connaissance 2016 et Prix Nouveau Talent Chorégraphique SACD 2017, une étrange gestuelle désarticulée. D’abord par la maîtrise de la station debout, tels nos lointains ancêtres les Australopithèques puis l’apprentissage d’un langage commun. À la faiblesse des coudes, des poignets, des jambes qui ne peuvent tenir ces corps dysfonctionnels en perpétuel déséquilibre répondent de virtuoses acrobaties circassiennes, catalogue de chutes plus belles les unes que les autres.
Il y a chute et il y a entraide ; aussi les bras savent se tendre vers son semblable, comme une aide salvatrice. Et si nous assistions là dans La Mécanique des ombres à la naissance d’une humanité, solidaire en ses premiers jours ?
Ici tout est question de courageuse tentative, de spectaculaire obstination et de doux abandon. Comme cette magnifique ronde qui clôt, sur une note joyeuse, la pièce. La ronde comme symbole d’une communauté, main dans la main, qui s’enivre du vivre-ensemble. Pour encore combien de temps ?
Cédric Chaory, CCN La Rochelle (Novembre 2018)
Crédit photo : Gérard Payelle