MétamorPhone – Sine Qua Non Art

C’est à l’occasion d’une scolaire au Carré Amelot qu’Aliénor a découvert la nouvelle création de la compagnie Sine Qua Non Art : MétamorPhone. Une pièce jeune public, relecture urbaine de L’Après-midi d’un Faune sur fond de beatboxing et de danse electro. Refreshing !

À la lisière des disciplines. Toujours et encore. Le duo de chorégraphes rochelais Christophe Béranger et Jonathan Pranlas-Descours le sait bien : leur univers chorégraphique fascine (le public) autant qu’il effraie (les programmateurs, les Institutions) mais il en a cure. Impossible pour ces électrons libres de trancher pour une signature chorégraphique définitive, une petite musique qui serait leur (leurre ?), une case-cocon dans lequel on pourrait sagement les enfermer.

Oui, la compagnie Sine Qua Non Art, repérée dès sa première création performative (Exuvie) puis célébrée avec la seconde (Des Ailleurs sans lieux), aime être là où on ne l’attend pas. Ç a déroute et c’est tant mieux. Début 2018, elle signait un troublant duo Versus aux lumières fragmentées et esprit queer, aujourd’hui c’est une pièce jeune public qu’elle propose. Mais pas de celles qui encombrent bon nombre de programmations faiblardes de nos théâtres. Avec MétamorPhone, Christophe et Jonathan considèrent son jeune public, sans oublier de le sidérer.

À l’origine du projet, il y a la volonté de faire se rencontrer trois arts : la danse, la musique et les arts visuels tel un spectacle total mais chacun avec une spécificité propre puisqu’issus du milieu urbain. MétamorPhone entrelace ainsi la danse électro, le beatBox et les arts numériques. Duo de chorégraphes pour duo d’interprètes, on retrouve au plateau Brice Rouchet, enfant du pays puisque formé au Conservatoire de La Rochelle et Tioneb, champion du monde de BeatBox Loop en 2012. Le premier réinterroge les codes de la danse électro. Vous savez cette danse urbaine, mix de voguing, locking, house ou popping, adapté au rythme de la musique house, qui fit les beaux jours des discothèques au mitan des années 2000, avant d’être salement récupérée par les chanteuses Yelle et Lorie. Aujourd’hui la discipline a retrouvé ses lettres de noblesse et Brice est un de ses plus beaux porte-parole. Pourtant ce n’est pas lui qui donne de la voix dans MétamorPhone mais bien Tioneb qui compose une bande sonore, en live, via son puissant organe. Triturée, mixée, démultipliée, sa voix déploie une trame électro souple qui sied à merveille aux six tableaux de la pièce.

Six tableaux pour un voyage où l’on croisent Amadeus Mozart, Keith Haring, Vaslav Nijinski, Jean-Michel Basquiat et tant d’autres fantômes de l’art mondial. Mais une référence plus que toutes les autres retient l’attention : le Faune de Nijinski. 2018 oblige, celui-ci n’évolue pas tant dans une forêt peuplée de nymphes que dans la jungle urbaine de nos actuelles métropoles. De l’ouverture où est revisité le théâtre d’ombre (art de la rue par excellence à Java) au Finger Tutting, en passant par le bad painting, notre créature légendaire endosse divers rôles entre cerf majestueux, monstre terrifiant et homme de tribu. Dans un espace en perpétuelle transformation, où la création numérique signée Olivier Bauer ouvre des espaces oniriques, Brice Rouchet fait montre d’une technique virtuose. Mains, bras, tête tournoient à une vitesse vertigineuse. Pour le plus grand plaisir des enfants présents dans la salle qui n’ont de cesse de reproduire maladroitement cette gestuelle.

À mesure que se déroule la pièce, le danseur est rejoint sur scène par Tioneb. Ensemble ils improvisent une battle. C’est ici qu’apparaissent le plus clairement les passerelles tissées entre voix et corps : quand le corps donne voix et quand la voix impulse du mouvement. Derrière eux défilent l’histoire du graffiti. Le tout premier fut apposé dans les tréfonds d’une grotte préhistorique, le tout dernier très certainement cet après-midi dans votre rue par un lycéen ou un gilet jaune en colère. MétamorPhone raconte un peu de cette histoire-là : à la croisée des chemins des danses et musiques urbaines, l’intelligente pièce fait ressurgir nos danses ancestrales, nos origines primitives, la métamorphose du tribal à l’urbain.

Cédric Chaory