Une Fresque tirée par les cheveux
La Fresque, création 2016 d’Angelin Preljocaj, est la première pièce du chorégraphe à s’adresser au jeune public. Dès 9 ans nous dit-on. Ce soir-là dans les rangs du public de La Coursive aucune tête blonde mais beaucoup de cheveux gris. Un homme houspille son épouse de l’avoir traîné voir un ballet quand une dame glisse à son voisin qu’elle a tout vu du chorégraphe aixois. Pour ma part cela fait quelques années que j’ai cessé de suivre ses productions dont j’estimais l’inspiration tarie depuis son poussif Blanche-Neige (2008) préférant resté sur les vifs souvenirs de ses pièces que j’estime maîtresses : Noces (1989), Annonciation (1995), MC14/22 (2001), Near life experience (2003).
Avec La Fresque, j’ai décidé de reprendre contact avec l’univers prejlocajien. Tellement peu au fait de son actualité, je ne sais rien de la pièce, n’en ai eu aucun écho, même pas du microcosme de la danse contemporaine que je côtoie, lui aussi ayant lâché le chorégraphe depuis belle lurette, le raillant même parfois.
C’est donc le jour-même que je découvre que La Fresque s’inspire d’un conte. Grand amoureux des lettres, Angelin s’est déjà attelé aux écrits de Charles Perrault, aux Milles et Nuits sans oublier les hommes de lettres Jean Genet, Pascal Quignard, Laurent Mauvignier ou encore William Shakespeare heureuses sources d’inspiration en leur temps.
Du conte asiatique du XIIIème siècle intitulé La Peinture sur le mur, La Fresque: l’extraordinaire aventure jette dix danseurs dans un récit sur le pouvoir « surnaturel » du geste pictural. Le scénario met en avant un jeune homme qui marche avec un ami et doit s’abriter dans les ruines d’un temple pour échapper à la pluie. Dans ce lieu, il tombe sous le charme d’une femme représentée sur une fresque murale. Au point de traverser l’image et d’y vivre une formidable histoire d’amour où la symbolique du cheveu féminin, soyeux fantasme, trouve place de choix. « Derrière cette métaphore qui traverse le conte chinois se profile la question de la représentation dans notre civilisation et la place de l’art dans la société d’aujourd’hui » résume Preljocaj voyant l’occasion de porter un regard sur la jeune génération fascinée par les mondes virtuels.
En une dizaine de tableaux, le chorégraphe retrace, dans une dramaturgie épurée à l’extrême, les grandes lignes du conte aidé, comme à son habitude, d’une équipe 4 étoiles : aux costumes Azzedine Alaïa, à la musique Nicolas Godin du groupe Air, à la scénographie Constance Cuisset qui conçoit un ballet aquatique du plus bel effet fait de chevelure en images. Sans oublier aux lumières le travail sobre et élégant d’Eric Soyer. C’est peu de dire que la partition chorégraphique développée dans ce bel écrin est très, très en deçà.
Que La Fresque reprenne, comme des clins d’œil, des motifs et des thématiques tirés du répertoire du chorégraphe (la préparation au mariage, la naissance du couple … ) n’est pas en soi déplaisant mais la pièce n’en reste pas moins le pot-pourri d’une grammaire qu’applique l’artiste depuis une bonne dizaine d’années. Le chorégraphe affirmait avec La Fresque chercher à renouveler son vocabulaire, tenter une nouvelle écriture en allant vers l’épure et la simplicité mais la pièce n’échappe pas à ce besoin d’épate lisse autant que froide. La gestuelle est virtuose, ciselée, impeccablement interprétée par une troupe. C’est beau et puis ?
Et si l’esthétique d’Angelin Preljocaj était aujourd’hui calcifiée, devenue recette magique pour des World Tour sold-out ? Le chorégraphe reconnaît lui même avoir deux axes de travail : la recherche fondamentale où il approfondit un certain type de mouvement, une certaine qualité dans une approche presque mathématique, abstraite. Recherche qui aboutit à des pièces dites exigeantes mais pour le coup passionnantes telle Empty moves. Et puis il y a la recherche appliquée qui se réfère à ses pièces narratives ultra-léchés, ronronnantes plus que détonantes. Il fut un temps où ces deux recherches donnaient naissance à de vrais chefs d’œuvres : Le Parc, Roméo et Juliette … aujourd’hui ces deux mondes semblent hermétiques l’un à l’autre. Oui décidément je préfère les « gestes vides » de Monsieur Preljocaj à tous ses contes tirés par les cheveux.
Cédric Chaory
©Jean-Claude Carbonne