Puissantes Parallèles
À l’occasion de la journée internationale des droits de la femme, le CCN de La Rochelle, dirigé par Kader Attou, a programmé un intense duo féminin signé Abderzak Houmi. Porté par deux excellentes interprètes Parallèles conjugue à la perfection hip hop et contemporain.
La Rochelle, en des temps révolus, fut une place privilégiée pour l’art chorégraphique, place défendue notamment par des femmes qui marquèrent l’histoire de la danse. On pense à Brigitte Lefevre et son Théâtre du Silence qui, 11 ans durant (1974-85), a jeté les prémisses d’une danse contemporaine mais aussi Régine Chopinot, égérie de la Nouvelle danse française des années 80. Marion Bati, ex-directrice de la biennale Les Éclats chorégraphiques aujourd’hui dirigée par Charlotte Audigier, a également participé à ce que La Rochelle soit une femme, belle et rebelle, qui danse.
Aujourd’hui si l’on souhaite découvrir une œuvre chorégraphique dans la cité maritime, 3 options s’offrent au spectateur. On se presse à La Coursive, experte pour diffuser les grosses machines que sont les Preljocaj-Khan et autre Ballets nationaux ou on furète dans les chapelles de la ville : Saint-Vincent (pour les Éclats chorégraphiques) ou Fromentin (pour le CCN-Kader Attou), sûr d’y découvrir une danse émergente contemporaine ou hip-hop de bonne facture. Ainsi depuis le début de la saison, le CCN nous a offert d’heureuses découvertes telles Immerstadje d’Hamid Ben Mahi ou encore In Bloom Annabelle Loiseau et Pierre Bolo.
À l’occasion de la journée internationale des droits de la femme, Kader Attou y a programmé un duo féminin : Parallèles, création du Tourangeau Abderzak Houmi qui fit les beaux jours du OFF d’Avignon cet été. C’est sur deux dos nus, recroquevillés sur les genoux que s’ouvre crûment la pièce. Dos qui se meuvent lentement puis de plus en plus rapidement. De l’intranquilité des corps où os, colonne vertébrale et peau plissée en tous sens apparaissent d’étranges formes que n’aurait pas renié Francis Bacon. La chair ne restera pourtant pas longtemps nue car la suite de la pièce consiste en un habile jeu, comme un tour de magie, d’habillage/déshabillage où le vêtement apparaît sans que le public ne le voie un seul instant. Veste noire cintrée, pantalon-sweat ou petite robe rouge … rien ne tient aux corps des deux vibrantes danseuses. Refusent-elles les costumes-stéréotypés qu’on leur assigne ? Les étiquettes grattent-elles bien trop pour qu’on ne les décolle ?
Splendides interprètes, Julia Flot et Sophie Lozzi proposent une partition hip hop métissée du plus beau contemporain. Virtuoses dans les deux disciplines, elles tiennent de bout en bout ces Parallèles, lignes de corps, lignes dans l’espace « lignes (qui) se dressent, se parallélisent et parfois se rencontrent. » comme le souligne le chorégraphe. Précision, rapidité, porté particulièrement musclé, Parallèles ne laisse aucune place à l’à peu-près et cela tombe bien car imagine mal Julia et Sophie s’accommoder de dilettantisme.
À l’heure où rares sont les chorégraphes femmes à s’imposer dans le milieu du hip hop (Anne Nguyen pour la plus connue, Jann Gallois pour la révélation que tout le monde s’arrache ou encore Jessica Noita pour la nouvelle génération.), les interprètes de Parallèles prouvent que la sensualité sied à merveille à un genre réputé viril. Abderzak Houmi, habitué aux danses musclées, nerveuses, hybrides, rend ici un bel hommage à la femme, à la danseuse hip hop aussi. Belle et rebelle quand elle danse.
Cédric Chaory
Crédit photo : (DR)