Voyage en mélancolie
Vêtus de sombres et longs imperméables, ils entrent dans la cour du Centre culturel irlandais. Se déchaussent, montent sur le plateau et s’assoient. L’un sur une table, l’autre sur une chaise. A ce moment un incroyable balai sonore se joue. Il ne s’agit pas d’une bande son mais de mouettes volant au-dessus de ces deux grands artistes comme pour les saluer, les accueillir, donner leur assentiment ou encore un signal. Ces deux artistes ne sont autres que Josef Nadj et Dominique Mercy.
Dans le cadre de Paris Quartier d’Eté, les deux complices reprenaient Petit psaume du matin, une pièce créée en partie à Avignon dans le cadre du Vif du Sujet en 1999. Ce qui fut au départ un solo, une commande du danseur Dominique Mercy au chorégraphe Josef Nadj, s’est transformé en un duo réunissant ces derniers.
Petit psaume du matin est une traversée poétique faite de rituels parfois énigmatiques, entre deux hommes qui semblent au départ s’ignorer mais dont les différences créent du lien et invitent au rapprochement. Ensemble, ils créent des rencontres, des espaces qui racontent autant un quotidien qu’un imaginaire. Qu’ils se débarrassent de leur costumes pour en vêtir un autre, qu’ils transforment leur image à l’aide d’une plaque de verre et de fausses moustaches, qu’ils s’imposent le mutisme en se bâillonnant la bouche d’un tissu… chaque chose est faite avec précision et minutie. On mesure le temps, on le perçoit par leurs gestes et mouvements détachés, découpés. Une chose vient après une autre. Il n’y a pas de place pour la frénésie liée à la multiplicité des actions et à l’éparpillement. Chaque moment compte et est donné pour ce qu’il est.
C’est autour de balais et boules de papiers que la rencontre a lieu. Dès lors les deux personnages vont cheminer ensemble entre mimétisme empathique, où un et un font un, et sorties de route exploratoires. Constitués de différents tableaux avec pour fil conducteur l’imaginaire et la complicité des deux personnages, Petit psaume du matin dégage un ravissement certain. Rêveurs éveillés, Dominique Mercy et Josef Nadj jouent avec la réalité, la fiction et le souvenir. Parfois drôles, tendres, fatigués, réjouis, ils composent un univers facétieux teinté d’une douce mélancolie. L’apparente indifférence du départ n’était qu’une couleur de cette rencontre qui se déploie sous nos yeux dans diverses directions. Jouer ensemble, s’amuser de l’autre et de soi, se porter et se supporter, être attentif à l’autre tout simplement, ce sont bien les chemins que prend la danse de Josef Nadj et Dominique Mercy. Accompagnés d’une bande son plurielle, elle aussi voyageuse, composée de musiques traditionnelles cambodgienne, roumaine, hongroise, égyptienne, macédonienne et d’un extrait de Maria d’Igor Stravinsky, les deux interprètes donnent le goût du rêve, de la fragilité de la vie et des êtres.
La rencontre entre le danseur emblématique de Pina Bausch et le chorégraphe polymorphe n’a pas perdu de son charme et de sa sincérité. Dominique Mercy s’empare facilement de l’univers de Josef Nadj, il en confirme sa mélancolique théâtralité et sa puissance évocatrice. Petit psaume du matin porte haut et fort la mélancolie comme point de rencontre entre deux êtres. Pour Josef Nadj « Il s’agit de prendre l’être même de l’autre comme un trésor fragile et précieux, qu’il faut protéger. » Cette pièce à n’en pas douter, prend ces mots à la lettre.
Fanny Brancourt, Centre culturel Irlandais (Juillet 2016)
©Séverine Charrier