De grâce. De chair et d’os
Elles sont trois. Trois femmes portant Le secret de la petit chambre. Trois femmes nous faisant voyager dans leur intimité, dans les profondeurs de leur corps, de leur âme. Trois femmes qui n’en sont qu’une.
Le secret de la petite chambre se compose de trois soli, interprétés successivement par Cathy Testa, Flavie Hennion et Lucie Blain. Chacune de ces femmes est nue. Et pour chacune d’entre elle, un univers lumineux et sonore est créé. Ainsi se tisse et se déroule une ligne imaginaire sur laquelle les corps composent une danse à la fois personnelle et commune. Les différences physiques tout comme les contraintes chorégraphiques des danseuses participent à cette singularité corporelle.
Cathy Testa émerge de la terre et décline une danse tendant à la verticalité. Jouant des ronds de jambe au sol ou debout, ses mouvements s’impriment dans un espace proche du végétal. Flavie Hennion avance elle, sur ses poings. Assise sur le sol, elle rampe, le buste droit fendant avec affirmation la diagonale du plateau. Le corps souvent plié en deux, elle déroule ses pieds traversant l’espace tel un animal à la recherche de nourriture. Femme à quatre pattes, elle explore le soi, entre vitesse et lenteur. Sur le qui vive, elle déploie son corps longiligne vers des chemins de quête. Finissant par trouver ce qui la meut. Lucie Blain chaussée de cothurnes japonaises, éclairée par un puits de lumière, tourne sur elle même à la manière de ces petites ballerines enfermées dans les boîtes à bijoux. Ses longs bras délicats, n’ont de cesse de déplacer l’air dans une infinie lente douceur. Elle est celle qui transcende le chemin.
Les trois interprètes tirent le fil de la vie, de la naissance jusqu’à l’au-delà. Elles sont une seule et même personne. C’est précisément ce fil qui les lie et rend leur danse commune. Animales, végétales, masculines, féminines, elles naviguent entre les terres et les mers de l’intime. Plutôt que de nous donner leurs secrets, elles nous font partager les sensations qui les traversent. Les états de corps émergeants de cet intime, de leur moi profond. De ces femmes, on ne perçoit que rarement les regards. Ceux-ci se fondent dans un corps tout entier dédié à l’intime, au secret. A cette partie de nous, que l’on ne connaît que peu. Les corps tranquilles et puissants dans chacun des soli, deviennent vibratoires à l’image des cordes du nyckelharpa (instrument d’origine médiévale, utilisé dans la très belle création musicale de Guillaume Feyler). Tendus parfois au maximum, ils explosent. Se font entendre. Le secret, au début silencieux, devient sonore. Il percute l’espace de cette petite chambre, l’envahie, pour se retrouver dans ce qui le fonde, sa part d’intime.
Avec pour point de départ le roman de l’auteur japonais Yoko Ogawa, La petite pièce hexagonale, et l’œuvre de Francis Bacon, le Collectif Zone libre, fondé par Cathy Testa et Marc Thiriet, nous invite à la sensation. A la fois proches de ces corps nus disant notre commune humanité et éloignés par leur vécu propre, nous participons à cette tentative physique de dire au plus près ce qui traverse notre intérieur.
Belle réussite que ce triptyque donnant à la chair la part belle. Les compositions musicales et sonores, ainsi que l’interprétation sans faille des trois danseuses, nous permettent d’accéder à ce corps matière émetteur de sensations et d’émotions. Une force du spectacle vivant et notamment de la danse, dont il ne faut en aucun cas se priver.
Fanny Brancourt, Avignon OFF (Juillet 2015)
©Marc Thiriet