Ces morts qui nous parlent
Aurélien Richard et sa compagnie Liminal donne avec sa dernière création Revue Macabre, une nouvelle couleur au genre que constitue la revue. Son écriture, toujours largement inspirée par un travail prolixe autour d’archives qu’elles soient musicales, chorégraphiques, cinématographiques, littéraires, se définit une fois encore dans l’interstice musique et danse. Pianiste, compositeur et chorégraphe, Aurélien Richard joue avec les champs/chants communs de ces disciplines, leur proximité comme leur complicité.
Revue Macabre s’appuie donc sur le genre protéiforme de la Revue (donnant à voir des saynètes comiques, fantastiques, féériques, érotiques…) en y associant cette spécificité créée au Moyen-Age, l’art macabre, dont relèvent les danses macabres. Dans une période où les maladies et épidémies décimaient à grande vitesse les populations, du 14ème au 16ème siècle, sans oublier la guerre de Cent ans, diverses formes de représentations, picturales, musicales, architecturales, chorégraphiques… furent inventées. Chacunes d’entre elles se sont développées autour du thème de cette mort omniprésente à l’époque touchant toutes les catégories sociales de la société. Aussi la plupart des représentations qui en ont été faites, montrent cette intimité entre les morts et les vivants, cette capacité de la grande faucheuse, la plupart du temps figurée par un squelette, à entrainer tout le monde dans son sillage avec plus ou moins d’ironie. Dans les Danses Macabres, c’est la mort qui est active et non les vivants. Etonnamment, elle ressemble à la vie. Toujours figurée en mouvements, sautillante, agitant bras et jambes, elle s’accroche avec fermeté aux mains ou bras de ceux que l’on dit vivants. Ces derniers sont eux par contre totalement figés. La bouche fermée, le visage souvent incliné vers la terre. Ils semblent inaptes à réagir, seules la peur et l’effroi transparaissent parfois dans leurs regards. Ainsi entre farandole, danse en chaine ouverte ou fermée, et plus tard en défilé, la mort défie les vivants.*
Aurélien Richard, le visage maquillé de blanc, joue sur ce trouble que sème la mort au sein des vivants. Dès les premières minutes du spectacle, il semble incarner à lui seul ces deux types de protagonistes. Interprétant délicatement au piano ses propres compositions, comme celles émanant des différents arts ayant traité de la mort, notamment la fameuse Danse Macabre d’après Totentanz de Sigur Leeder, ses postures et regards interrogent le spectateur. Dans une gestuelle empreinte en partie à l’expressionnisme allemand mais aussi au cinéma muet de Louis Feuillade et à bien d’autres, les six danseurs qui l’entourent troublent à leur tour les perceptions et croyances. De la partition millimétrée du premier trio, où tour à tour les danseurs se décalent et se recalent (procédé souvent utilisé par le chorégraphe, il était aussi très présent dans la chorégraphie de Noces / Quatuor sa dernière pièce) à la danse enlevée en chaine ouverte de tous les interprètes, les sensations se confondent et nous trompent. L’ironie, le rire en général n’étant jamais très loin, cette danse macabre a tout d’une aspiration au vertige, au déséquilibre qui peut nous faire vaciller, si tant est qu’on s’y laisse emporter.
Ecrite comme une partition musicale, cette Revue Macabre donne l’espace à chacun, de chanter (scène de cabaret où le baryton Julien Fanthou donne de la voix et crée des visages extraordinaires), d’exulter, de violenter (scène de malaise lorsque la seule danseuse présente sur le plateau, Christine Caradec, après avoir donné naissance dans la souffrance à un enfant, après l’avoir bercé comme il se doit, le jette à terre et le piétine)… de mêler le tragique au rire et de laisser une place à la mort dans la vie. Ici tout y est traversé. A nous de nous y mirer ou pas. Mis à part quelques enchainements pas toujours très nets ou fluides, Revue Macabre est un spectacle étonnant par le choix de cette mise en revue des danses macabres et de l’art macabre en général dont elles émanent. Il nous fait découvrir un univers foisonnant dans lequel on le perçoit Aurélien Richard s’est plongé goulûment.
Fanny Brancourt, Centre national de la danse (Février 2015)
©Alain Monod