Now – Carolyn Carlson

Hic et nunc

Le présent, l’intimité de l’espace jusqu’à son immensité, la maison comme construction d’un temps, de vies, de moments partagés, de souvenirs heureux ou pas, de notre rapport au monde… Voici les principaux thèmes trouvant un terrain, en la dernière création de Carolyn Carlson, Now.

Inspirée par La poétique de l’espace de Gaston Bachelard, la chorégraphe, désormais en résidence pour deux saisons à Chaillot, n’a rien perdu de sa fougue et de son amour de la danse. Entourée de sept danseurs, tous habitués de son travail, elle développe cette notion de temps et d’espace inhérente à l’intime, du soi, du nous et à l’immensité du soi et du nous au cœur de l’univers. Autour de la maison, les danseurs témoignent de la sphère de l’intime. Entre la cave, le grenier, les tiroirs, des coffres… ils ouvrent des portes, mettent en lumière les secrets, la part d’eux les reliant au passé mais aussi tout ce qui les pousse dans le présent « seul jour idéal, (d’après le Dalaï Lama cité par Carolyn Carlson), pour aimer, croire, faire et vivre. » A travers sept tableaux métaphoriques, les interprètes s’inscrivent dans un univers bien plus vaste que celui de la maison. Ils s’incarnent dans un présent agissant aussi bien sur le dedans que le dehors. Ils sont cette partie infime constituant l’univers. Ces petites choses qui traversent tempêtes, orages et tremblements, tentant tant bien que mal de rester debout.

Now est une pièce en perpétuel mouvement. L’espace, le son, les corps se transforment en permanence. La légèreté de la musique de René Aubry, éternel complice de la chorégraphe, balaie sans cesse la pesanteur d’une vie parfois encombrante, chargée de souvenirs ou secrets, comme autant d’obstacles au présent. Les projections vidéos de Benoît Simon et les photographies de Maxime Ruiz témoignent de ce temps qui passe et de la place que chacun occupe dans l’espace quelque soit sa dimension. Les danseurs, filmés au milieu d’une nature luxuriante, rendent compte de la place qui leur incombe parmi le vivant. Les photographies elles, souvent en noir et blanc, mettent en exergue une certaine idée du temps. Le passé, la métamorphose. Aussi la danse de Carolyn Carlson s’imprègne totalement des notions d’intime et d’immensité évoquées plus haut. L’élan, la course, la fuite sont autant de mouvements qui transpercent l’espace et le transforment sans cesse. Coexistent à ces qualités et matières des mouvements plus petits, plus arrêtés, sorte de langage des signes témoignant eux d’émotions et de sensations propres aux personnages. Tout ce qui les traverse est lisible dans ces corps cheminant du petit vers le grand, de l’intime vers l’immensité.

Les qualités de toute l’équipe artistique, des danseurs, de la chorégraphe sont sans appel. Et ce d’autant plus si on en juge par la réception du spectacle le soir de la dernière. Il y a cependant malgré un propos et une indéniable belle mise en scène de ce dernier, des moments d’égarement. Une fin que l’on croit venir et qui ne vient pas. Les musiques s’enchainent les unes à la suite des autres tout comme les différents tableaux car ils y sont assujettis, sans que nous n’ayons toujours le temps de traverser, avec les personnages cette poétique du temps et de l’espace. Mais profitons du présent et de ce qui nous est donner, c’est déjà beaucoup.

Fanny Brancourt, Théâtre national de Chaillot Paris (Novembre 2014)

©Laurent Paillier