Gala des étoiles du 21e siècle, rendez-vous incontournable des balletomanes
Difficile d’être absent à la dernière édition (17ème déjà) du Gala des étoiles au Théâtre des Champs Elysées à Paris. Une nouvelle fois, les spectateurs sont conquis, tant par la diversité du répertoire alliant savoureusement chorégraphies classiques, néo-classiques et modernes que par la qualité des interprètes.
Si certains balletomanes semblaient déçus par l’absence de la nouvelle coqueluche de la danse Olga Smirnova, la grande majorité était amplement récompensée par la présence d’autres étoiles confirmées notamment la sublime Lucia Lacarra, ainsi que le duo tonitruant formé par Maria Kochetkova et Joaquin de Luz. Sans oublier des étoiles montantes, en particulier Aurélien Houette, stupéfiant de charisme et de sensualité dans L’après-midi d’un faune.
Alliance réussie du répertoire classique et moderne. La révélation Aurélien Houette
Le choix des chorégraphies composant le programme du Gala s’avère judicieux offrant aux spectateurs une palette diversifiée des chorégraphies classiques et modernes. L’univers rigoureux et « académique » de Petipa coexiste avec le romantisme tragique d’Adams dans Giselle et la densité tragique de La Dame aux Camélias de John Neumeier, tandis que la sensualité de L’après-midi d’un faune s’allie à l’éclat de Rubies de Balanchine. Le spectacle s’ouvre avec deux danseurs du Ballet National de Cuba, Manuela Navarro et Gian Carlo Perez Alvarez interprétant avec brio le pas de deux d’Esclave du Corsaire de Petipa. On les retrouve dans un autre registre, qui met à mon avis davantage leur talent en relief, un pas de deux au rythme endiablé intitulé Sobre un Hilo de Lyvan Verdecia.
La suite nous révèle deux superbes interprètes, Aurélien Houette et Erwan Leroux (Incidence Chorégraphique/Opéra de Paris) dans un extrait d’une chorégraphie sensuelle et sensible de Bruno Bouché intitulée BLESS-ainsi soit-IL. Ils sont tous les deux épatants.
On retrouve Aurélien Houette, interprète idéal dans L’Après-Midi d’un faune signé Thierry Malandain. Danseur accompli, il n’a pas froid aux yeux en interprétant ce rôle mythique marqué par tant d’autres danseurs légendaires. Audacieux, débordant de sensualité et de charisme, sachant investir l’espace par sa présence, il sait aussi rester à chaque instant juste et musical, tout en prenant des risques qui tiennent les spectateurs en haleine. Son interprétation restera sans doute parmi les sommets de ce Gala.
Parmi les autres révélations, je citerai Oxana Skorik (Ballet du Théâtre Mariinski de Saint- Petersburg). On a pu l’admirer, ainsi que son partenaire Timur Askerov dans Window in Midwinter de Vladimir Varnava. Le lyrisme étrange, le rythme et l’humour décalé de cette chorégraphie nous rappellent par moments et ce n’est pas un mince compliment, l’inoubliable Smoke de Mats Ek immortalisé par Sylvie Guillem et Niklas Ek.
Quel contraste lorsqu’on retrouve Skorik et Askerov dans le célèbre pas de deux du cygne noir dans Le Lac des cygnes, où ils déploient une technique et une virtuosité sans failles qui n’apparaissent jamais forcées, ainsi qu’une fluidité du mouvement qui s’allie à un véritable sens de l’interprétation. Personnellement, j’aurais juste aimé voir une touche supplémentaire de subtilité chez Skorik dans sa variation d’Odile.
Maria Kochetkova et Joaquin de Luz, duo édifiant et tonitruant
Kübler Ross chorégraphiée par Andrea Schermoly et sublimée par la musique de Vivaldi restera aussi gravée dans nos souvenirs. Deux danseurs explorent leur propre corps, ainsi que l’espace qui les entoure. En les regardant, on songe à quelques grandes chorégraphies de Forsythe, en particulier Steptext ou Rearray. Ajoutons que, chose rare dans les chorégraphies modernes, l’utilisation de la vidéo se fait ici avec intelligence et bon goût. La vidéo accompagne solidement et affectueusement les danseurs sans jamais les effacer. Et que dire sur le couple formé par Maria Kochetkova (San Francisco Ballet) et Joaquin de Luz (New York City Ballet) ? Charme, précision, fluidité dans chaque geste, complicité et musicalité, ils ont tous les atouts pour séduire les spectateurs et ils y parviennent avec un naturel déconcertant.
Il faut les voir aussi dans le pas de deux de Rubies l’une des chorégraphies les plus inspirées du grand Balanchine. J’ai pu déjà admirer, il y a quelques années à Spolète, la virtuosité de Joaquin de Luz dans Balanchine. J’ai retrouvé ici intacts chez lui et chez sa partenaire cette fougue, ce sens du rythme, cette musicalité et cet entrain communicatif qu’ils savent partager avec les spectateurs, éléments indispensables chez les grands virtuoses balanchiniens. Avec de tels interprètes Rubies porte glorieusement son nom et reste un bijou scintillant de la danse.
Le Gala nous permet également de voir deux danseurs de l’American Ballet Theater, Isabella Boylston et James Whiteside, surtout dans le pas de deux de l’Acte II de Giselle interprété avec sensibilité et une belle émotion contenue. Boylston et Whiteside se révèlent justes dans un registre fort différent dans Everything Doesn’t happen at once signée Benjamin Millepied, mais à mon sens la chorégraphie manque de relief et de densité.
Lucia Lacarra, étoile rare et sublime
Inutile de présenter aux balletomanes la sublime Lucia Lacarra, l’une des danseuses les plus admirées au monde. Curieusement Lacarra reste très rare, pour ne pas dire absente sur nos scènes françaises, une raison de plus pour ses admirateurs à ne manquer sous aucun prétexte ses apparitions depuis plusieurs années au Gala de danse au TCE.
Exquise et grande tragédienne, Lacarra interprète d’abord un extrait de La Dame aux Camélias de John Neumeier, l’un de ses plus grands rôles. Elle est solidement accompagnée par son partenaire de prédilection Marlon Dino.
Les deux danseurs clôturent le spectacle en beauté avec Trois préludes une chorégraphie inspirée de Ben Stevenson qui s’interroge avec sensibilité sur l’art des danseurs, sur leurs quête d’atteindre la perfection, leurs rapports avec leurs partenaires et avec l’espace. L’osmose, la complicité subtile entre Lacarra et Dino sont telles que les spectateurs ont la certitude que leurs corps ne font qu’une seule entité. Leur grâce naturelle et la poésie dégagée par leur gestuelle nous montrent que la danse dite « abstraite » peut aussi avoir une âme et nous procurer des véritables émotions.
Seul bémol du Gala, la musique enregistrée. Par moments, le son résonnait tellement qu’on avait du mal à saisir la subtilité et les nuances de la musique, surtout dans les chorégraphies classiques. Mais ne gâchons pas notre plaisir. Les spectateurs étaient visiblement ravis de ce rendez-vous incontournable de la danse et le seront sans doute à nouveau lors du prochain Gala en 2015.
Nakis Ioannides, Théâtre des Champs Elysées Paris (Septembre 2014)
©Andrea Mohin