Matières meubles
Paysage inconnu, la dernière pièce de Josef Nadj, était présentée dans le cadre du Festival TEMPS D’IMAGES au 104. Il a réuni pour celle-ci, autour de lui, trois artistes exceptionnels : le danseur Ivan Fatjo, et les musiciens Akosh Szelevényi (collaborateur de longue date) et Gildas Etevenard.
Pour qui connaît l’univers artistique du chorégraphe français d’origine yougoslave, ce Paysage inconnu ne nous paraît pourtant pas si étranger. Nous voyageons en effet, parmi les matières connues caractérisant le travail de Josef Nadj. On sait son goût pour l’absurde, le grotesque, le burlesque, le tragique, la nostalgie, la mélancolie, l’obscure, le sombre, la blancheur… Dans Paysage inconnu, on retrouve tous ces éléments. Des fils, participant d’un même cheminement, sont déroulés tout au long de la pièce : entre musique et danse, entre les deux personnages interprétés par les danseurs, entre matière et esprit.
Chez Josef Nadj, la danse souvent empreinte de théâtralité, se décline dans un va et vient de sensations physiques et visuelles. L’idée du son et du corps comme matières à transformations est préhensible dans chacune de ses pièces. Chaque mouvement, regard et attitude émanant du corps des danseurs, sont d’une éloquente densité. Paysage inconnu reste dans cette ligne artistique et explore les frontières entre les éléments sus cités.
Les danseurs transforment leur espace physique et intime. Sans cesse en action, ils vont vers. Lorsque suspensions il y a, elles ne sont que la continuité du chemin intérieur qui les meut. Pour Josef Nadj, la matière première à ce quatuor ressemblerait au paysage de Pannonie, une ancienne région de l’Europe centrale, correspondant à l’actuelle Hongrie. « Cette plaine qui se joue des frontières instituées par les hommes et s’étend ininterrompue sur des kilomètres carrés, avec ici et là un oiseau en surplomb, un arbre comme une silhouette esseulée ou l’éclat d’un coquelicot qui ponctuent et renforcent encore, par contrepoint, l’immensité jaune verte des herbes hautes ployées par le vent. » Les deux danseurs traversent alors des états de corps comme ils traverseraient une frontière les portant vers des territoires inconnus. Capables de trinquer ensemble, de se battre, de rire, de s’observer comme deux étrangers qui se ressemblent, ils promènent leur silhouette à la manière d’albatros ou d’épouvants-hommes c’est selon. Les visages cachés sous des bas, on devine un nez, une bouche, des oreilles, des yeux, mais on s’éloigne du visage émotionnel. Le corps et sa danse prennent en charge sentiments et émotions.
Accompagnés par les incroyables percussions, cordes, et saxophone des musiciens Gildas Etevenard et Akosh Szelevényi, les danseurs tirent les fils qui les relient au cycle de la vie et à ses différentes étapes. Les quatre artistes transforment en permanence les matières plastique, sonore et physique pour donner corps à une humanité vacillante. Qu’il est à la fois doux et rugueux de se perdre dans ce Paysage inconnu…
Fanny Brancourt, Le 104 Paris (Septembre 2014)
©Séverine Charrier