Vous avez la jeunesse, nous avons la joie !
Déjà remarquée dans la précédente édition de Paris Quartier d’Eté, avec son spectacle : Princesse Bari, la chorégraphe sud-coréenne Eun-Me Ahn, revient cette année avec une pièce haute en couleurs et en émotions positives.
Dancing with grandmothers s’appuie sur la joie de danser des grands-mères sud-coréennes. Avec une partie de sa troupe de danseurs, la chorégraphe est allée dans les villes mais surtout dans les campagnes de son pays à la recherche de femmes âgées, qui pour la plupart travaillent encore. Munie d’une caméra vidéo, elle incitait ces dernières à danser de manière spontanée. Lorsque la timidité, la pudeur ou le manque d’envie se manifestaient, elle-même et ses interprètes dansaient sur des standards, des tubes de leur jeunesse. Certaines des grands-mères qui étaient au départ réticentes entraient alors dans la danse avec délectation et se laissaient porter par le mouvement. C’est avec cette indéniable énergie des grands-mères, qu’Eun-Me Ahn a créé cette pièce d’une incroyable vivacité mais aussi d’un partage unique. Partage d’une grande sincérité entre les danseurs de la compagnie qui se fondent dans l’énergie des grands-mères et qui dans un même temps la décuple, la transforme, la transcende, et ces grands-mères qui se donnent sans compter au plaisir du mouvement avec une gaieté réjouissante.
Un plateau tout blanc, au lointain, des vêtements blancs eux-aussi collés sur un mur servant d’écran vidéo, au-dessus des spectateurs une énorme boule à facettes, le décor est planté. Eun-Me Ahn nous invite à la danse, à celle qui nous meut et nous émeut. L’énergie donnée est là pour circuler. Aucune retenue, aucune. Tout mouvement est porteur de joie, de gaieté, de plaisir. C’est un don. Dans la première partie du spectacle, c’est Eun-Me Ahn elle-même qui ouvre le bal. Vêtue d’un costume traditionnel, elle longe le mur du fond sur lequel des images de son pays sont projetées. Le dos légèrement courbé, les bras déposés sur l’air en avant du buste, les pieds exécutant de petits pas, elle avance et elle recule. Mouvement proche du glissement, elle prend l’espace petit à petit tout en balançant ses bras. Les mains sont légères et gracieuses, elles portent le corps vers le rebond, la délicatesse. Dans cette première séquence aux mouvements simples, le corps dit déjà la joie qui le traverse et son acuité à recevoir ce qui l’entoure. Sortie du plateau par l’avant-scène, la chorégraphe laisse place à ses neuf danseurs qui enchainent entrées et sorties avec une jubilation contagieuse.
Sur une composition musicale éclectique invitant à la transe, de Young_Gyu Jang, les danseurs reprennent une gestuelle propre aux grands-mères (petits pas et bras qui montent et descendent le long du buste) que l’on retrouve à différents moments du spectacle. Vêtus de tenues colorées, aux imprimés variés, chaussés de tennis, les danseurs vont et viennent ç une folle allure. Les hommes comme les femmes portent pantalons et robes sans que soit associé une quelconque question de genre. Les couleurs de leurs vêtements, les choix de tenues participent, tout comme la musique, les déplacements et mouvements tour à tour lents, légers, délicats, enlevés, explosifs, toniques, à un état de béatitude qui envahit le spectateur. On se laisse porter par la positivité de ces élans physiques, scéniques, esthétiques qui nous sont donnés.
Dans la deuxième partie du spectacle, le corps du spectateur est en quelque sorte mis au repos. Sur l’écran se succèdent les danses de nombreuses femmes prises dans leur quotidien, leur travail, leur sociabilité. Ce moment de calme est parfaitement mesuré et laisse au spectateur le temps de récupérer de toute l’énergie déployée précédemment. C’est l’occasion de rire de sourire, d’être touché par toutes ces femmes qui se plient au jeu de la danse sans retenue. Contrairement à elles qui dansent sur des musiques, le spectateur est plongé dans le silence. Ce choix artistique laisse d’autant plus la possibilité d’apprécier ces moments de joie collectifs ou individuels.
Enfin dans la troisième partie de Dancing with grandmothers, les fameuses grands-mères, et un grand-père, viennent sur le plateau, jouer le jeu de la danse qui les transporte tant. Car il s’agit bien ici de jeu, d’amusement, de plaisir. Chacun évolue à sa manière, les choses sont très peu chorégraphiées, et danse avec un plaisir qui n’est pas feint. Que ce soit sur une version de Tombe la neige, en coréen, ou sur des standards du pays, les grands-mères racontent par la danse une histoire, un vécu souvent emprunt d’années de travail. Aussi lorsque les danseurs de la troupe d’Eun-Me Ahn, partagent le plateau avec les grands-mères, on perçoit à la fois une sorte de filiation, une transmission mais aussi quelque chose de l’ordre de la modernité, une rupture avec des manières d’être et de faire. C’est dans ces allers et retours entre les uns et les autres que se construisent les liens entre les générations et que s’écrit l’histoire.
Eun-Me Ahn, réussit une belle partition avec tous ces interprètes. Dancing with grandmothers, est un spectacle d’une grande générosité, d’un indéniable partage, entre les personnes âgées et les danseurs mais aussi entre eux et nous spectateurs. D’ailleurs à la fin du spectacle tout le public est invité à partager le plateau avec les interprètes. Il y a une très grande liberté dans cette proposition. Difficile de ne pas se laisser embarquer par l’énergie des uns et des autres. Enfin quel énorme plaisir de voir la danse comme mouvement collectif, reliant des générations à d’autres générations. Saluons sans mesure cet engagement de la chorégraphe et de ses interprètes.
Fanny Brancourt, Théâtre de la Colline Paris (Août 2014)
©Eun-Me Ahn