Du féérique Blanche-Neige à la prose plus abrupte de Jean Genet, il n’y a qu’un pas. Un pas de danse qu’exécute admirablement le chorégraphe Angelin Preljocaj. Un pas ou plutôt un saut dans le vide pour ce chef d’orchestre de grandes fresques chorégraphiques qui décide pour la première fois de sa carrière, et à 52 ans, de tenter le solo.
Partant d’un constat simple – une compagnie toujours par monts et par vaux laissant derrière elle un chorégraphe esseulé et un studio vide – l’élégant quinquagénaire s’est lancé un défi : danser seul Un Funambule, chant d’amour de Jean Genet à son amant acrobate. Occasion rêvée d’un retour à soi, audacieux défi d’un chorégraphe qui remonte sur les planches 15 ans après les avoir quittées, Un Funambule promet de faire table rase de l’œuvre passée d’Angelin. Et c’est bien le cas : encore une fois le chorégraphe est là où on ne l’attend pas.
L’après Blanche-Neige
Succès sans précédent pour le Ballet Preljocaj, Blanche-Neige aura réuni plus de 100.000 spectateurs sur la saison passée. En renouant avec le ballet narratif façon Le Parc et Roméo et Juliette, en convoquant la totalité de ses danseurs et en multipliant les « coups » (la représentation du ballet dans les jardins de Versailles), Angelin Preljocaj prouvait, si nécessaire, qu’il reste l’indétrônable chéri du public. Au sortir de cette success-story, véritable conte de fée, l’aixois retourne à des expériences plus extrêmes et moins aisée pour le public, dans la droite lignée de son exercice de style Empty Moves (Part 1) et de l’anxiogène N. Se jeter à corps perdus dans la scandaleuse poésie de Jean Genet, voilà son nouveau pari.
Un chant d’amour
« C’est un vrai texte de solitude. Il est pour moi l’équivalent des Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke…un texte qui m’a longtemps porté tant il parle d’engagement artistique… » explique Angelin Preljocaj. Jeune danseur en formation auprès de Karine Waehner à la Schola Cantorum, il dévorait déjà les mots de Jean Genet. Si le texte ne recèle plus de mystères pour le chorégraphe, l’exercice de l’écriture pour soi d’un solo est, lui, un véritable dédale de l’intime. Se retrouver face à soi, se dévoiler à soi puis aux autres sans artifices, sans autre corps que le sien. Un challenge pour un ex-danseur de 52 ans qui a abandonné depuis belle lurette les vanités de la scène.
A Montpellier Danse, c’est donc seul qu’Angelin Preljocaj est entré en scène avec pour seuls atouts ce Funambule brûlant de désir, le blanc éclatant du décor de la designeuse Constance Guisset, son corps sublime et émouvant d’ancien danseur et sa voix hésitante de comédien débutant. Des atouts cœur qui ont touché à raison celui du public, charmé par ce challenge amplement relevé. Un nouveau conte de fée en perspective pour Angelin ?
Cédric CHAORY – Théâtre des Abbesses (septembre 2009)
©Jean-Claude Carbonne