Moi aussi je veux être artiste !
Lorsque Anita Mathieu, directrice Des rencontres chorégraphiques internationales de Seine Saint-Denis, remet un prix aux performeurs et interprètes Martin Schick et Damir Todorovic, on entrevoit le terrain ironique sur lequel les artistes, suisse pour le premier et serbe pour le second, nous conduisent. Ces derniers ayant décrété les vacances sur scène, si l’on traduit littéralement le titre du spectacle, que va-t-il bien pouvoir se passer ?
Assis dans un canapé, tels deux adulescents au bord de l’ennui, ils énumèrent les activités pouvant les divertir. Ils se prennent alors au jeu du quizz, de la pub, de la sitcom, du drame… pour tromper l’ennui. Ils enchainent les bons mots, les devinettes évoquant les stars du show business ou pas, les personnalités politiques, religieuses, ainsi que les marques, de celles qui pourraient acheter du temps de cerveau disponible. Pour appuyer leur démonstration, en fond de scène un énorme écran reprend les logos des partenaires financiers du spectacle.
Cet écran présent dès le début du spectacle semble avoir été oublié pour une conférence de presse ou toute autre spot publicitaire. Et c’est bien là, la qualité de la proposition du duo serbo-suisse. Nous donner des éléments clairs sans en percevoir le sens a priori. Les choix de mise en scène deviennent créateurs de sens, tout en dénonçant ce qui est désormais presque acquis : l’artiste serait ni plus ni moins un entrepreneur, un vendeur. Et ne cherchons pas trop loin ce qu’il vend, ce n’est rien d’autre que sa propre personne.
Célébration de l’union entre l’artiste et le capitalisme. L’artiste serait devenu la place à prendre dans la société. Une position sociale qui ferait des envieux d’après les trois autres personnes qui les rejoignent sur le plateau et tente de trouver une place sur ce canapé devenu clairement trop petit. Tous rêvent d’être artistes, mais les élus seront peu nombreux, car là aussi la compétition fait rage. Compétition qui donne lieu à un délicieux moment d’ironie. Bien sûr chaque aspirant artiste se doit de prouver ses capacités, ses spécialisations si il en possède. Ils subissent tour à tour _sauf celui qui avait un rôle d’accessoiriste au début du spectacle et qu’on ne prend pas au sérieux_ un entretien aux questions insensées. Les réponses ne le seront pas moins. Force est de constater que les éventuelles motivations tiennent à peu de choses et que tout est supercherie.
Holiday on stage, dénonce avec gaieté, humour, sérieux mais aussi légèreté une marchandisation de l’humain en général et de l’artiste en particulier. Martin Schick et Damir Todorovic, nous proposent d’être à la fois sur scène et hors scène. Ils nous montrent les coulisses comme le spectacle. Sa fabrication et sa réalisation. Ils déplacent sans cesse les points de vue, nous permettant d’accéder à une réflexion sur ce monde du spectacle. Au sein, de cette sorte de fable, sont insérés des moments de danse à la fois drôles et beaux. Le danseur sud-coréen Moonsuk Choi, premier prétendant, se lance lors de son entretien, accompagné du morceau Spiegel im Spiegel d’Arvo Pärt, dans une danse d’une grande technicité et force d’interprétation. Un peu plus tard, la jeune fille ayant remportée la compétition, Viviane Pavillon, sur le même morceau de musique, se jette à corps perdu dans une danse gauche et kitch. Exécutée avec une grande force de conviction, sa présence nous emporte quand bien même les techniciens du théâtre commencent à défaire le plateau.
Mises à part quelques longueurs, Holiday on stage puise sa force dans ces moments de décalages, ces aller et retour entre le off et on, entre le sérieux et la nonchalance avec lesquels les interprètes jouent cette société du spectacle.
Fanny Brancourt, Nouveau Théâtre de Montreuil (Juin 2014)
©Charlotte Walker