Elever racines et branches
Le jeune chorégraphe et directeur artistique de la compagnie Massala, Fouad Boussouf présentait récemment sa dernière création : Transe. Au Maroc, l’enfance de Fouad Boussouf est empreinte des musiques traditionnelles et classiques du Maghreb au Moyen-Orient. Arrivé en France à l’âge de sept ans, il se nourrit de tout ce qui fait la culture hip-hop, sa musique, le street art et notamment la break dance. Il se forme parallèlement à la danse contemporaine et crée en 2006, dans la continuité de ses recherches chorégraphiques, la compagnie Massala.
Avec Transe, cinquième création de la compagnie, le jeune chorégraphe s’interroge sur les révolutions nommées « printemps arabes » qui ont donné naissance à une nouvelle forme de contestation dans les pays du Maghreb. Fouad Boussouf s’intéresse à travers ces révolutions aux corps qui les fondent et les animent. Le chorégraphe a donc travaillé sur l’identité, les transformations du corps au sein d’événements collectifs comme ceux que le Maghreb a connus, mais aussi sur la spiritualité, celle qui porte le corps vers d’autres états de conscience. La transe et l’ésotérisme lié aux derviches tourneurs ont été une forte source d’inspiration.
Transe s’ouvre donc par une très belle scène où les sept danseurs en cercle étroit, vont et viennent, le buste et la tête penchés vers l’intérieur du cercle. Image simple et forte. La répétition de ce mouvement puis le déplacement et les changements de diamètre du cercle, donnent de la puissance à ce collectif qui paraît être déjà loin. Cette répétition si elle transporte les danseurs ailleurs, donne au public une respiration particulière. Un souffle, une vibration différente.
On est presque déçu lorsque « la tournerie » s’arrête, la musique et les corps nous ont emportés nous aussi. Bien entendu, celle-ci ne se rompt pas d’un coup. Après s’être déplacée, des corps isolés s’en extraient, y reviennent. En duo, en trio et autres formations, les danseurs s’échappent puis reforment un groupe faisant face au public. La tête baissée, les corps pantelants, les pieds frappant le sol ; lâcher prise, répétition pour aller plus loin pour s’extraire de la réalité, la transcender. « Les individus tournent en rond pour mieux se retrouver, dans un même temps, un même univers savourant le plaisir du mouvement continu, infini et irrémédiablement grégaire, une quête d’équilibre. » Fouad Boussouf va chercher les respirations de chacun pour les rendre une. Le groupe s’avance, gestes saccadés, arrêtés et furtifs, on croit à une lumière stroboscopique mais la lumière c’est bien eux. Les danseurs dégagent une puissance évocatrice.
Par la suite, des identités surgissent, s’affirment tentent d’échanger.
« Il n’y a pas de temps pour le lendemain… », cette phrase extraite Du Lanceur de Dés, un texte de Mahmoud Darwich donné en arabe et en français par les deux danseuses du groupe, ponctue la pièce. Suite d’actions : « Je marche. Je trotte. Je cours. Je monte… », ce poème nous fait part de cette insatiable révolte qui meut les hommes.
Fouad Boussouf a choisi d’accompagner poésie et danse, d’une bande sonore enlevée, réalisée par Marion Castor. Teintée de musiques traditionnelles arabo-andalouses, mêlée à du breakbeat, cette bande sons nous plonge dans la transe sans retenue.
Hypnotique et exaltée, la danse de Fouad Boussouf est loin de certains copiés-collés que l’on peut voir entre danse contemporaine et hip-hop. Portés par la musique, la poésie, les danseurs (de manière inégale, on perçoit une plus grande maturité chez certains) ne se ménagent à aucun moment pour tendre à l’équilibre dans l’effervescente révolte. Les corps se jouent des frontières entre verticalité et horizontalité.
Malgré une salle peu adaptée au spectacle (l’auditorium de L’institut du Monde Arabe), certaines traversées paraissent avortées ou trop longues, Transe dégage une belle énergie liée sans nul doute à la jeunesse de ses danseurs et de son chorégraphe. Fouad Boussouf réussi, avec sa troupe, à nous transporter dans des espaces inexplorés où ses qualités de chorégraphe prennent toute leur saveur. Etat de transe dont on revient secoué et charmé.
Fanny Brancourt Théâtre Jean Vilar Vitry (Septembre 2013)
©Michel Petit