iTmoi Bis

Poétique du chaos

Akram Khan avec iTMOi (in the mind of igor), sa dernière création, revisite le Sacre du printemps et la musique d’Igor Stravinsky. Sorte d’hommage (l’œuvre date de 1913) à une composition musicale ayant révolutionné les codes et imposant des éléments « antisymphoniques ».

Etonnamment, le chorégraphe anglais d’origine bengalie, ne reprend pas la composition d’origine afin d’en faire sa version chorégraphique. Il a demandé aux compositeurs Nitin Sawhney, Jocelyn Pook et Ben Frost, d’écrire une partition tout à fait originale inspirée et guidée par celle de Stravinsky. Les ruptures originelles apparaissent, en quelque sorte, à travers les différents éléments sonores constituant cette création. Entre musiques électroniques, chants folkloriques, instrumentations classiques, les notions de mort, de chaos et de sacrifice s’imposent. Thèmes inhérents à la condition humaine à laquelle fait référence le chorégraphe dans sa pièce.

Entouré d’une incroyable équipe de onze danseurs, tous aussi justes les uns que les autres, et de collaborateurs artistiques exceptionnels, Akram Khan avec iTMOi met la barre haute.

L’ouverture est tonitruante. Un prédicateur vêtu de noir déverse son discours, le crie, le scande sans que jamais on ne puisse comprendre réellement ce qu’il dit. Ce ne serait sans compter la décharge physique qu’il met à dire. Traversé de spasmes, de gestes tranchants, son corps décharge une énergie vengeresse donnant le ton à tout ce qui va suivre.

Dans le chaos général, il va falloir trancher. Sacrifier pour que l’ordre réapparaisse. Pour que le monde tourne rond à l’image de cette reine, de sa robe cloche qui aspire, dévore ou cache ses sujets. Akram Khan pousse les élans de création propres à l’homme. Création permanente d’une chose et de son contraire. Celui qui se croyait le plus libre au début de la pièce se verra privé de sa liberté, à la fin de cette dernière. Image incroyable de cet homme encordé, emmêlé, manipulé par ses semblables qui n’a de liberté que la longueur des liens qui le retiennent.

Les élans sont aussi la matière chorégraphique dont s’empare Akram Khan et ses danseurs. Il y a dans sa danse cette imperturbable force et puissance, cet ancrage inexorable lié au kathak. Toutes ces qualités sont poussées à l’extrême pour y trouver fluidité et  rapidité.  S’ajoutent, à ces moments de fulgurance, de gestes collectifs balayant l’espace et le temps, des moments de relatif apaisement, de respiration souvent nouée. Le fil déroulé depuis le début de la pièce se tend lentement. La rupture n’est pas loin. En témoigne cette bête à deux cornes qui rode. L’heure du sacrifice approche.

iTMOi nous plonge dans une histoire du monde, de l’humanité, faite de fractures. De morts physiques et de naissances spirituelles. Porté par des danseurs d’une générosité exceptionnelle, Akram Khan nous livre ici, une poétique du chaos. Tout semble empreint de ces composantes. Contradictoires, opposées, il nous les donne en partage. Rien n’est tout à fait beau ou laid. La complexité des sentiments est bien plus grande que cet adage. Akram Khan, nous en donne sa version, dans un spectacle encore une fois virtuose, à nous de nous y plonger sans retenue.

Fanny Brancourt – Théâtre des Champs Elysées Paris (Juin 2013)

©Jean-Pierre Hernandez