Tabac Rouge – James Thierrée

Au revoir magie...

Il est des gens qu’on aime suivre, parce qu’une fois, deux fois, trois fois… ils vous ont ému, transporter dans un univers original, unique, dans lequel votre imaginaire s’est engouffré. James Thiérrée fait partie de ceux-là. Puis parfois, on est dérouté, on ne comprend pas, on s’ennuie même. Tabac rouge, le dernier spectacle de cet artiste talentueux, en est l’exemple.

Pourtant la première scène _ un homme longiligne, tentant d’allumer une cigarette, souplesse et précision des gestes et effets sonores ludiques _ pouvait présager d’un moment plein de magie et de poésie comme a l’habitude de nous en proposer James Thiérrée.

L’univers onirique, toujours construit à partir de machines sortant de l’imagination du metteur en scène et chorégraphe perdure. Il y a toujours ces incroyables inventions comme ce mur mobile sorte de prison-miroir. D’un côté des barreaux métalliques tricotés serrés et de l’autre un ensemble de vieux miroirs. Ou encore cette femme abat-jour qui traine machine à coudre et chaise derrière elle, sans jamais qu’on ne voit son visage. Elle est celle qui reprise les vies, les corps…

Il est vrai que chez James Thiérrée, le personnage principal est avant tout le décor, ces inventions, ces machineries. Mais ici dans Tabac Rouge ce mur mobile et tous les autres éléments eux aussi mobiles (tout est sur roulettes) prend beaucoup de place, peut-être trop. Au contraire des danseurs et comédien qui sont au service de, seuls les techniciens-manipulateurs ne semblent pas subir le poids de ce décor. Le temps passé à effectuer des aller et retour d’un bout à l’autre de la scène, à moduler l’espace scénique, devient alors l’enjeu du spectacle. L’histoire, le propos en sont dilués. On a du mal à s’attacher à ces personnages et à ce qu’ils vivent.

Prégnance du décor mais aussi de la bande sonore. Nos oreilles n’ont pas de moments de répit. Elles sont assaillies en permanence par des « combustions sonores » de Mathieu Chédid, dixit le livret du spectacle. Forcés de constater alors que James Thiérrée souhaitait cette sur-investigation de l’espace sonore et visuel. Mais quel est le sens ? L’homme serait comprimé et/ou exacerbé par ses propres constructions, qu’elles soient techniques ou égotiques ?

Incarné par le comédien Denis Lavant, qui succède à Carlo Brandt, le deuxième personnage de la pièce est tiraillé par son image. Sorte de metteur en scène-monarque, il mène le monde qui l’entoure et notamment un petit ballet de servantes, comme bon lui semble. Evidemment ces dernières se rebelleront et prendront le large, laissant leur maître à sa solitude et à sa démesure.

C’est seulement là, vers la fin du spectacle que l’on est pris par le décor et les personnages de Tabac Rouge. La déconstruction s’opère. Les miroirs faute de se brisés, se détachent de la structure pour ne créer qu’un gigantesque mobile, où le reflet de soi, multiple n’a plus d’emprise.

Malgré la qualité des artistes présents sur le plateau, et même si l’univers de ce spectacle se veut plus sombre que les précédents, on se sent passif face à la démultiplication des manipulations et de l’utilisation des machines et accessoires. La narration et les personnages paraissent lointains. Peut-être est-ce dû à l’absence sur le plateau de James Thiérrée lui-même ? Tentative délicate que ce Tabac Rouge.

Fanny Brancourt – Théâtre de la Ville Paris (Juillet 2013)

© Richard Haughton