Danser, pour que vive la mémoire
Vêtu d’argent, habillé d’une peau de bête, le corps couvert d’huile, puis de nouveau en costume soyeux argenté, Gregory Maqoma voyage dans la mémoire d’un chef rebelle de l’ethnie Xhosa (ethnie à laquelle il appartient), Jongumsobomvu Maqoma qui n’est autre qu’un de ces ancêtres. Traverser par le courage de cet homme résistant à de nombreuses invasions et dominations, le danseur sud-africain chemine des terres – où le bétail, richesse de ces hommes, est malmené, volé, tué – jusqu’à Robben Island, l’île où il fut emprisonné en 1873 ; celle-là même qui verra quelques années plus tard un autre résistant, Nelson Mandela. Gregory Maqoma est littéralement porté par la mémoire de cet homme. A travers lui, il endosse l’identité d’un peuple tout entier.
Accompagné d’un prodigieux guitariste, Giuliano Modarelli, dont les boucles musicales percutantes, obsédantes traduisent le chemin et l’indéfectible lutte d’un homme pour les siens ; mais aussi de quatre chanteurs extraordinaires Bubele Mgele, Linda Thobela, Happy Motha et Bonginkosi Zulu, le danseur et chorégraphe explore ce corps qui n’abdique jamais. Il trouve la résistance propre à l’humanité incarnée comme l’histoire le montre par certains hommes et femmes. C’est un corps debout, en mouvement perpétuel qui s’offre à nous. Qui réveille notre pensée parfois endormie. Les voix de chacun des artistes présents sur scène sont autant de forces contribuant à l’évocation de cette mémoire. Lorsque le troupeau a disparu, c’est nous qui disparaissons.
Gregory Maqoma convoque avec ferveur la mémoire d’un homme, il se glisse dans ses habits et lui donne vie. Sa danse est une marche progressive vers un avenir emplit de doutes mais avec cette certitude profonde, ne pas fléchir. Ne jamais abdiquer face à l’illégitimité d’un pouvoir. Au sol, il n’est question que de recueillement. Tout se passe avec cette verticalité du corps et l’horizon comme point d’ancrage. A la fois animale, sensuelle, sonore et déterminée, la danse de Gregory Maqoma puise sa richesse dans la pluralité des danses de son pays et de son parcours chorégraphique. Comme dans Beautiful Me (spectacle dans lequel il avait notamment travaillé avec Akram Khan), on sent ce goût de la spirale, des frappes au sol propres au kathak, mais aussi aux danses plus traditionnelles sud-africaines. A travers l’histoire de ce lointain ancêtre, Gregory Maqoma avec ses chanteurs et musicien, nous propose une mise en abyme puissante. Cette puissance s’exprime et parfois même dépasse la danse en tant que telle, par les performances des chanteurs dont les unissons et variations nous propulsent au-delà d’un continent et font appel à l’émotion pure présente en chacun de nous. La vibration amenée tout en délicatesse et détermination, par le danseur et les notes de Giuliano Modarelli au début du spectacle voyage, se transforme, explore la mémoire, jusqu’à une ultime montée émotionnelle.
Exit/Exist, un est moment à part. De cette mémoire particulière, celle d’un peuple et de sa culture, Gregory Maqoma nous y relie avec pudeur et conviction, en faisant appel à l’intimité des Hommes.
Fanny Brancourt – Théâtre des Abbesses Paris (Mars 2013)
©Ruby Washington