François Chaignaud

Première consultation

La porte s’ouvre sur François. Robe chaussette finement pailletée, bottines peau de pêche couleur vert pomme. Yeux et ongles peints. Beauté fatale.

« Cédric et Camille, vous voulez bien me suivre ? ». Nous quittons cette salle d’attente improvisée dans les bâtiments arrière de La Coursive, méconnus du public, pour rejoindre l’étage supérieur. François, silencieux, ouvre le chemin, avant de nous inviter à entrer dans une autre pièce pour nous y asseoir. Une cheminée, un bureau et une chaise où est posée négligemment une blouse blanche. Deux-trois bibelots qui entourent le fatras habituel de papiers et agenda d’un bureau qu’on imagine appartenir à un médecin, un psy.

François s’assied face à notre duo de spectateurs dans l’expectative. Le théâtre avait teasé la performance à coup de « les âmes pudiques s’abstiendront ; le rendez-vous se déroulera dans un lieu inhabituel du théâtre, qui contribuera au mystère de la proposition, quinze petites minutes suspendues, l’obscénité côtoiera l’élégance, performance hors norme. »

Des « performances hors norme », François Chaignaud en a composé plus d’une. De ses débuts (dé)culottés en 2004 avec Pâquerette en passant par Castor et Pollux, Danses Libres ou plus récemment Tumulus, l’artiste multiplie les collaborations et les propositions inédites. Ici, il est seul aux manettes pour orchestrer la « consultation » de ces spectateurs.

Dans un premier temps, il les observe ; tout au plus une dizaine de secondes qui parait une éternité à Cédric et Camille, interloqués par ce dispositif inhabituel. Puis il soupire et entame de sa voix à la tessiture de haute-contre et aux profondeurs les plus graves de bien licencieuses paroles. Surpris par la soudaineté du chant, Cédric tait un éclat de rire gêné, Camille reste coi. Puis la curiosité l’emporte. Que nous racontent là ces mélopées laissant échapper un verbe équivoque, un adjectif cru, un sous-entendu plus qu’appuyé ?  De bien plaisantes chevauchées …

Au face-à-face gênant du début – Cédric connaît la renommée de l’artiste et ai quelque peu impressionné de ce tête à tête  / Camille est totalement vierge de ce genre de performance et la situation la perturbe quelque peu – aurait pu succéder un malaise bien plus profond provoqué par la déclamation de sonnets libertins du 17ème  bien troussés. Mais ce serait oublier que la courte performance Aussi bien que ton cœur, ouvre-moi les genoux  est pensée comme un rituel, une liturgie païenne et sensuelle qui instaure un rapport inédit entre l’artiste et son audience. Nous, observant les vagues que fait le plexus solaire du praticien-chanteur au gré de ses vocalises, ses yeux se fermant à-demi pour exprimer l’ivresse du désir et lui, tantôt sensuel tantôt inquiétant, explorant dans un même élan, l’intimité, la proximité, le trouble, l’ambigu, réinventant comme jamais l’adresse au « public » et par là-même, le regard qu’artiste et spectateur se portent mutuellement.

« Ames pudiques s’abstenir » a-t-on pu lire mais au diable la pudeur et exit l’abstinence : courez dans le cabinet de Monsieur Chaignaud. Viens voir le docteur, non n’ai pas peur.

Cédric Chaory.

©Laurent Poléo