Un pot-pourri pour passer à autre chose
« Il s’agit dans ce projet d’attaquer le désenchantement par le mouvement, par le jeu, en appelant le passé, le présent, les utopies, avec une légèreté, et du sensible. Les pieds ont des choses à dire. » Le chorégraphe Frédéric Werlé signe ces prochains mois son retour avec un nouveau solo My Choregraphic Suitcase. Occasion de recueillir sa parole sur les dernières années qu’il vient de traverser.
On l’avait perdu de vue Frédéric Werlé, chorégraphe truculent aux multiples facettes. Interprète de Philippe Decouflé, Régine Chopinot ou encore Angelin Preljocaj puis chorégraphe qui signa, entre autres choses, le marquant Nijinskoff. Voisin du Petit Carillon, bar branché-cible de l’une des attaques terroristes de 2015, il avait en effet quitté la capitale au lendemain de la tragédie. Pour se réinventer ailleurs, différemment.
Quitter Paris
Ce jour de janvier 2024 à la faveur d’un entretien téléphonique, l’artiste fraîchement néo aquitain se remémore : « Je me suis retrouvé un temps à Châteauvallon, puis le cul entre deux chaises entre Paris et Angoulême. Parisien dans l’âme avec un réseau établi dans la capitale, j’ai souhaité cependant tourner la page mais il a fallu m’adapter non sans douter : refaire des ateliers à droite, à gauche, recommencer comme un débutant. »
Passés les doutes et les interrogations, l’artiste savoure sa nouvelle vie dans la préfecture de Charente, loin du milieu chorégraphique parisien : « J’appréhende ma carrière de manière totalement différente ici. Exit la chasse aux cachets, les mondanités. Qu’importe que le réseau parisien s’éloigne à mesure que mon âge avance, que les nouvelles directions dans les théâtres connaissent ou pas mon œuvre. Ici, en Nouvelle-Aquitaine, mon CV n’a aucune valeur et on y fait appel à moi pour d’autres qualités. C’est une manière de travailler qui est nouvelle et réjouissante. Et je ne me mets pas la pression : je ne suis pas un artiste émergent, je ne suis pas à la recherche de direction d’un CCN, je ne souhaite rien prouver ni me prouver. Je veux juste danser. Jusqu’au bout. »
La valorisation des déchets chorégraphiques
Et de danse il en question avec sa création en cours dont le titre provisoire est My Choregraphic Suitcase, presque solo puisqu’il sera accompagné sur scène de son compère et musicien Paul Peterson. La pièce trouve ses origines dans d’anciennes performances composées avec Bruno Sajous 1 ZESTE 2 ou encore le solo Nijinskoff qui, précise Frédéric, « parlaient à leur manière de moi sans être des autobiographies. Ce sont des « fictiongraphies », des romans brodés à partir de mes souvenirs. J’avais envie d’y revenir et clôturer tout cela » Ainsi My Choregraphic Suitcase promet d’être à la fois « bibliothèque de gestes, travail sur une sémiologie personnelle du corps dansant, mémoire charnelle de mouvements perdus ou à ré-inventer, valorisation de déchets chorégraphiques, recyclage d’idées non concrétisées, souvenir d’une danse. »
Revisiter son histoire c’est questionner la mémoire. Frédéric s’étonne tous les jours de celle-ci : « J’ai en moi toutes les chorégraphies que j’ai interprétées. Récemment Onze Chambres, compagnie allemande chez qui je viens d’être engagé, m’a demandé de réinterpréter le « Rossignol » de Régine Chopinot, « Technicolor » de Decouflé, des passages de « Noces » de Preljocaj. Les mouvements étaient encore dans mon corps. Bien sûr je ne suis pas choréologue donc il y avait quelques défaillances mais même si mentalement tu doutes, une fois la musique lancée, tout revient. C’est comme une fenêtre qu’on aurait pensé fermée définitivement mais qu’il suffit d’entrouvrir pour que tout rejaillisse à nouveau. »
Pour My Choregraphic Suitcase, Paul et Frédéric essayent de se remémorer des petits choses de leur passé artistique que le public éclairé saura déceler aisément et que le nouveau appréciera comme un matériau totalement neuf : « Paul et moi arrivons à un âge où le passé est très présent. Sans vouloir le dévaloriser ou le valoriser, sans qu’il nous écrase ou que nous souhaitons l’écraser, nous le parcourons avec bienveillance. » précise le chorégraphe qui fêtera ses 60 ans cette année. Un âge où si la mémoire semble pleine d’heureuses surprises, le corps, lui, montre ses limites physiques. Frédéric en a cure : « J’ai appris depuis pas mal d’années à me ménager. Finis les sauts de 4m, les roulés-boulés, j’écoute mon corps et en prends soin. Mes pieds sont comme les mains du pianiste : mon outil de travail. Aussi j’évite toute tension, tout passage en force. Et puis j’ai arrêté le coca-cola, une véritable drogue que tout ce sucre ! Après je dirais que je m’en sors plutôt bien. Les plus jeunes interprètes d’ Onze Chambres prennent soin de moi. S’ils voient que je suis à la peine, tout rouge par trop d’efforts, on s’arrête 5 minutes. Par la force des choses, je raccrocherai le tutu prochainement mais pour l’heure je suis de ceux qui pensent que les vieux danseurs ont leur place sur scène, à l’instar de ce que propose la compagnie senior d’Angelin Preljocaj. »
A Angoulême, dans sa Manufacture de la Fantaisie, Frédéric Werlé se renouvelle tout en restant fidèle à son univers fantaisiste, bric-à-brac chorégraphique d’essence « deleuzienne ». Sa « valise chorégraphique » il la peaufinera prochainement à L’Horizon (La Rochelle) ou encore à Kontainer (Angresse), des lieux de cultures alternatifs qui lui siéent parfaitement. Puis viendra le temps de montrer au public cette « pièce du retour », notamment dans le très prescripteur festival parisien Faits d’Hiver, la saison prochaine. Allez hop : on prépare déjà nos valises, direction : Micadanses !
Cédric Chaory
© Isa Marcellli