MazelFreten

Mazelfreten : l’electro bouge encore !

Transe festive et hypnotique à 120BPM, Rave Lucid de Mazelfreten – aka Laura “Nala” Defretin et Brandon “Miel” Masele – est une pièce puissante à la gestuelle ultra-millimétrée. Rencontre avec le duo de chorégraphes qui rend hommage, et en toute légitimité, à la seule danse urbaine française : l’electro.

Rave Lucid s’inspire du geste electro. Pourquoi s’emparer de ce mouvement de danse urbaine né au mitan des années 2000 ?

Laura : Je dois préciser en préambule que je suis une danseuse issue de la danse hip hop (NDLR : deux fois championne de France et 5e mondiaux en 2008 et 2009). L’idée de Rave Lucid émane donc de Brandon, danseur historique du mouvement electro. Depuis qu’il pratique cette danse, il a toujours eu à cœur de la mettre en avant. Nos deux premières créations pour la compagnie MazelFreten (Untitled, 2017 et Perception, 2020) sont des duos fusionnant nos univers hip hop et electro. Avec Rave Lucid, Brandon a souhaité une pièce de groupe plus ambitieuse qui serait entièrement dévouée au geste electro. Cette danse urbaine underground a une histoire très singulière et il y avait cette envie de la célébrer au plateau.

Justement, on se souvient que l’electro – un temps appelé tecktonik – a connu de glorieuses heures avant de disparaître, ringardisée. Puis des chorégraphes de renom l’ont remise au goût du jour avec succès (Blanca Li, Bintou Dembe, Marion Motin, Anthony Egea etc.). Quel regard portez-vous sur cette histoire d’un style somme toute récent ?

Laura : Effectivement l’electro a été moqué après avoir connu une hype assez impressionnante. Ce style est apparu vers 2006, notamment dans la discothèque francilienne Le Métropolis. Très rapidement des entrepreneurs ont déposé une marque appelée Tecktonik autour de cette stylistique. C’était assez étrange et très opportun car cet univers est vraiment issu des nuits underground mais ça a fonctionné. Les réseaux sociaux naissant et les buzz qui s’y rattachent ont fait que la tecktonik est devenue un phénomène de grosse ampleur auprès des jeunes. Un phénomène contre-productif surtout quand TF1 a racheté la marque avec pour projet de faire des T-shirts et cartables siglés. Dès lors, les danseurs electro sont devenus ringards, on leur refusait l’accès aux discothèques. Heureusement, il y avait une niche de passionné-es qui ont poursuivi leur pratique. Ils se sont alors tourné-es vers le milieu des battles. De là est née leur professionnalisation. Vers 2010/11, certains chorégraphes ont amené au plateau le geste electro. Avec succès. Une sorte de réhabilitation s’est enclenchée mais il convient de dire que Rave Lucid est à ce jour la seule pièce electro créée par un chorégraphe-interprète issu de la première génération du mouvement. C’est aussi pour cela que cette pièce tient à cœur à Brandon.

Vous êtes tous deux issus du milieu des battles puis depuis 2017 à la tête de votre compagnie. Comment s’est opérée votre passage au plateau ?

(voix bien plus grave … Brandon à l’appareil) : Nous avons eu effectivement un long parcours dans le milieu des battles mais chacun de notre côté avons côtoyé la scène. Que ce soit à travers des comédies musicales ou des tournées pour différents artistes. Tout comme Laura, je n’ai à proprement parlé aucune formation artistique académique. Nous avons appris sur le terrain. Il nous a donc fallu nous adapter à la scène : les lumières, la dramaturgie, la musique … tout est le fruit d’un travail de collaboration très enrichissant avec nos compagnons de route : Judith Leray à la lumière, NikiT & Filles de minuit à la musique ou encore Sting Masele aux costumes.

Avec eux nous avons des sessions brainstorming. Nous amorçons nos idées, exprimons nos envies et ils déroulent un fil. Pour la dramaturgie, Laura et moi aimons beaucoup confronter notre travail aux regards extérieurs. Les sorties de résidences sont en ce sens très utiles pour nous car elles nous permettent de recueillir les impressions de nos pairs, de nos amis. Recueillir ce qui a fait sens pour eux, ce qui les a moins séduits, ce qui a fonctionné … ces échanges nous permettent de parfaire nos créations. In fine, notre travail relève grandement du collectif.

Mais de ce passage au plateau nous souhaitions en aucun cas dénaturer le geste electro. Il doit garder son énergie propre, l’idée du dépassement de soi qu’il porte en lui, son côté brut. Ce pourquoi il a tant séduit en club et en battles. La scène ne doit pas l’artificialiser.

Rave Lucid met en scène ancienne et nouvelle génération d’interprètes electro. Racontez-nous la rencontre de ces artistes multigénérationnels.

Brandon : Il existe 3 générations de danseurs. Celle de 2006/2010. Il y en a 4 dans Rave Lucid. Celle de 2011/2015 puis la dernière. Forcément la première génération possède une plus grande maturité technique, possède le code des anciens, je dirais … les fondamentaux. La nouvelle génération, elle, a une énergie folle. Elle s’approprie bien plus rapidement les mouvements. Il faut savoir que moi, j’ai appris à maîtriser parfaitement une dizaine de gestes en 4 ans, quand eux en possèdent 20 en deux ans car désormais nous savons cette technique. J’y vois cependant quelques inconvénients : ces jeunes interprètes engrangent de manière express une technique sans avoir le temps de développer une singularité. Cela viendra avec le temps. La première génération, elle, possède une personnalité forte.

Vous dîtes que votre pièce cherche à hypnotiser son public tout en amenant ses interprètes à la transe. Qu’est-ce à dire ?

La technique de l’electro a toujours recherché la virtuosité, la technicité, la vélocité. Il y a un côté très « m’as-tu vu » que nous avons cherché à gommer avec cette pièce. Nous souhaitions en aucun cas montrer toute l’étendue de notre savoir mais bien plus travailler en profondeur un geste précis. Que ce soit sa puissance, son énergie … Le répéter inlassablement, le dépecer. Chacun des interprètes se limite à un geste de bras, un step. Il le calibre sur un tempo. Puis tous ensemble au plateau, ils créent une sorte de rituel, un commun. C’est de plus en plus puissant et cela happe le public.

Votre jeune compagnie crée sur un joli rythme (NDLR : elle finalise actuellement sa nouvelle pièce Memento) tout en multipliant les tournées et autres sollicitations. Comment s’organise votre binôme ?

Brandon : Nous avons la chance d’être bien accompagnés, et ce depuis nos débuts. Nous sommes artistes en résidence à  la Maison du Théâtre et de la Danse d’Épinay-sur-seine, épaulés activement par notre chargée de production et notre agence de diffusion. Laura et moi consacrons 75% de notre temps à la compagnie. Les 25% restant sont dédiés à nos projets personnels : workshops et autres engagements. Notre équilibre vient de là, je pense. Ces 25% sont notre espace de liberté, de ressourcement. Il nous permet de jongler entre nos carrières personnelles et celle de la compagnie qui se développe avec une belle régularité.

Chacun de vous a collaboré avec des artistes-stars et au sein de projets ambitieux : Christine and The Queens, Angèle, la comédie musicale Résiste Qu’en retient-on ?

En termes de vision, je dirais que côtoyer de tels artistes et leurs équipes, d’être intégré à des shows aux tournées gigantesques, vous ouvre le champ des possibles. Vous ne vous limitez plus en termes de décor, d’envies. Vous vous dîtes que la créativité est illimitée, bien au-delà du simple mouvement. Ca nourrit forcément. On a vécu ces moments dans leur globalité avec toute l’intensité qu’ils comportent, toute la folie qu’il y avait autour. On était portés par ces machines, quand bien même parfois elles vous épuisent. Mais c’est certainement pour cela qu’aujourd’hui nous sommes une jeune compagnie très dynamique et hyper-active.

Rave Lucid est soutenu par des co-producteurs de choix. Je pense notamment à (LA)HORDE ou Philippe Decouflé. Quel regard ces artistes ont porté sur la création ?

Monsieur Decouflé n’a pas vu la création mais les retours qui ont été formulés par son équipe lors de la gestation de la pièce nous ont été d’une grande utilité. Concernant (LA)HORDE, je connais bien Jonathan, Marine et Arthur. J’ai travaillé sur la tournée de Christine and the Queens dont il avait assuré la direction artistique. Et puis vous savez comme moi qu’ils sont très attentifs aux danses post-internet. L’electro en est un des plus flamboyants exemples.

Tous les trois ont donc bien soutenu notre travail. Je garde un bon souvenir de la venue de Jonathan lors d’une répétition au KLAP à Marseille. Il a été bienveillant avec les interprètes, notamment ceux de la première génération qui exprimaient leur crainte de monter sur scène. Ils ne se sentaient pas légitimes car c’était pour eux leur première pièce au plateau. Jonathan les a aidé à se débarrasser de leur « syndrome de l’imposteur » qui n’avait vraiment pas lieu d’être.

Propos recueillis par Cédric Chaory 

 ©Jonathan Godson

Les 9 et 10 novembre à La Coursive, Scène nationale La Rochelle

RAVE LUCID – 23/24 – La Coursive Scène Nationale La Rochelle (la-coursive.com)

Mazelfreten / Cie Hip Hop Electro

Avec Rave Lucid, Laura Defretin et Brandon Masele prouvent que la danse « tecktonik » ne se résume pas à sa dimension performative et son expression soliste. Sur cinquante minutes de spectacle, ils déploient ici une écriture chorégraphique totalement structurée, qui s’appuie aussi sur une grammaire collective très maîtrisée.

Et qui fait sens, en générant cet effet de transe très puissant, qui nous emporte nous aussi dans leur énergie, du fond de nos confortables sièges ! L’effet est vraiment hypnotisant. Et la démarche artistique ambitieuse dans sa volonté de dessiner durablement une nouvelle langue. Franck Becker, directeur de La Coursive, Scène nationale La Rochelle.

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