Vois comme le monde est doux !
On le sait, les spectacles de danse jeune public ont le vent en poupe depuis quelques années lorsque le ministère de la Culture et de la Communication lança en 2014 La Belle Saison avec l’enfance et la jeunesse permettant la découverte de toutes les richesses de la création pour ce public spécifique.
Depuis une décennie donc, foison de chorégraphes ont lorgné du côté des marmots. Certains sont devenus experts sur la question, remportant succès public et critique (Carré Blanc Michèle Dhallu, Collectif a.a.O, Marc Lacourt …) d’autres s’y sont essayés avec poésie (Les Frères Ben Aïm, Marion Lévy). Certains, par pur opportunisme, ont pris le train avec l’assurance de se voir grassement programmer sur 2/3 saisons. Car oui, le spectacle jeune public ça tourne. Et bien.
Les tout-petits entrent en scène
Une étude de l’ONDA sur la diffusion de la danse en France entre 2011 et 2017* indiquait à l’époque que « le nombre moyen de représentations en France par spectacle a été de 33 pour la catégorie enfance et jeunesse et de 7,4 pour les autres spectacles sur la période des cinq ans. Cette nette supériorité découle de séries en moyenne plus longues (2,9 représentations par spectacle contre 1,8) et d’un nombre de lieux de diffusion pour chaque spectacle en moyenne plus élevé (11,4 contre 4). » Les chiffres ont peu bougé sur l’actuelle saison 22/23.
En 10 ans forcément ce champ chorégraphique a vu opérer une évolution de ses esthétiques (salutaire) et de ses pratiques de diffusion. Sont apparues également des zones de délaissement, concernant notamment un auditoire précis : les tout-petits. Le Gymnase CDCN (pionnier sur le jeune public) et le réseau LOOP* se sont alors emparés du sujet via un projet de commande intitulé Les mouvements minuscules. Soit l’invitation d’un-e chorégraphe à l’écriture forte et singulière, qui ne concède rien en terme esthétique et déjà expérimenté-e à l’adresse du jeune public. Lui ai demandé de créer une forme courte, destinée à l’in‑situ (crèches, écoles maternelles…) ou aux plateaux et à l’adresse d’enfants à partir de 1 an.
Et c’est Marion Muzac qui a été désignée pour ouvrir le bal. La bordelaise coche effectivement toutes les cases : aguerrie aux activités pédagogiques et projets chorégraphiques, on se souvient avec enthousiasme de hero hero, de son Sucre du Printemps ou encore de Ladies First qui firent les beaux jours de la création jeune public (et ado). Pour Les mouvements minuscules, elle signe un Petit B d’ores et déjà promis à une belle diffusion. Et pour cause : la pièce est une réussite.
L’éveil des sens dans un cocon
D’abord ôter ses chaussures puis écouter l’hôte nous donner quelques explications sur ce que nous allons vivre ensemble pour finalement investir l’antre du Petit B. Cette après-midi, nous sommes au Musée maritime de La Rochelle. La salle est tout en bois clair et lumières indirectes, parfait écrin pour exposer un décor-installation composé de sortes de pouf de tailles diverses (imaginés par Emilie Faïf). Monochromes couleur chair, ces coussins sont l’incarnation de sein que l’on devine maternel : dodu, chaud, réconfortant. La surface performative est plantée … elle peut enfin s’animer.
Ils sont deux interprètes au plateau. Maxime Guillon Roi sans Sac, tout d’abord, s’extrait du public assis par terre autour de l’installation. De ses amples et lents gestes de bras, il survole les têtes des grands et petits. En fond sonore des gouttes d’eau qui tombent laissent place à des nappes electro-lounge inspirées du Boléro de Ravel par Johanna Luz et Vincent Barrau. A mesure que le lent crescendo si caractéristique de la scie musicale se déploie, le plateau se meut. C’est d’abord un corps qui s’extrait d’un amas de coussins. L’effet de surprise ravit les petits. Résonnent dans la salle un « ça fait peur » et « Oh y a une dame dessous le coussin » (et elle se nomme Aimée-Rose Rich). Déplacement des objets dans un jeu de construction/déconstruction, quelques passages chorégraphiques quand s’emballe le Boléro, interaction avec le public pour lui proposer de se détendre dans le moelleux d’un gros oreiller : Le Petit B propose avant une aventure de la perception. Ecouter, voir, toucher …
Marion Muzac donne ici quelques clés de la genèse de l’oeuvre : « Dans quel monde sont entrés les jeunes enfants en 2021 ? Comment les avons‑nous accueilli-e-s avec nos visages cachés, nos expressions effacées ? Alors que l’on sait la valeur des mimiques comme moyen de communication essentielle, nous avons été empêché-e-s d’interagir avec eux, nous n’avons pas pu être dans l’empathie émotionnelle. »
A sa manière, Le Petit B répare avec son univers immersif, enveloppant, rassurant. Le monde y est doux, sans heurts. Loin des affres de l’extérieur. C’est simple et non simpliste. Idéal pour un tout premier « pestacle ». On peut se jeter à corps perdus sur un coussin, ça fait même pas mal. Faire le poirier aussi, bien calés entre les objets (Et là, les plus grands du public se souviennent, dans un flash, ces corps avalés par le décor mou du Projet de la matière d’Odile Duboc.) On rebondit toujours et on recommence de plus belle. Les enfants l’ont bien compris : ils ont été sages (subjugués) durant 30 minutes mais là ça les démange de tâter le terrain. Ca tombe bien Le Petit B prévoit un temps d’expérimentation et à peine les applaudissements évaporés c’est au tour des drôles de parcourir l’espace performatif. Certains foncent dans le tas avec force cri, d’autres attendent l’aval d’un parent au regard rassurant pour timidement toucher le coussin appétissant comme un gros macaron.
Tous, ce jour d’avril, ont fait leur première expérience de spectateur mais aussi d’interprète en mimant à l’envi ce que Maxime et Aimé-Rose venaient de performer. Les voilà désormais dans le grand bain de l’art et la danse. La belle aventure !
Cédric Chaory
©Frédéric Lovino
La diffusion de la danse de 2011 à 2017 – Office National de Diffusion Artistique (ONDA) sous la direction de Daniel Urrutiaguer
LOOP : LOOP – Réseau pour la Danse et la Jeunesse (reseau-loop.fr)