Olivia Grandville

Olivia Grandville: La Rochelle, an 1

À la tête du centre chorégraphique de La Rochelle depuis un an, Olivia Grandville est jusqu’à la fin mars au cœur d’un temps fort organisé par La Coursive. Diffusion de ses pièces, projection de films et exposition de photographies, ce rendez-vous est l’occasion de faire connaissance avec la chorégraphe. Tout comme cet entretien dans lequel elle revient sur son année 2022, son projet Mille Plateaux et sa carrière.  

Un an s’est écoulé depuis votre arrivée au CCN. Comment vous sentez-vous à La Rochelle ?

Je trouve ce début d’expérience passionnant. Il y a une superbe écoute à la fois de la part de la ville et de la Région et je me sens bien accompagnée. L’équipe que nous avons mise en place avec celle existante et celle que j’ai amenée fonctionne également très bien. Quant au public, il répond présent donc pleins de choses sont positives.

Après me concernant, en tant qu’artiste, je me rends compte qu’il va falloir que je me protège. Passée cette première année consacrée au déploiement du projet sur La Rochelle, je vais me réserver des temps pour moi car on peut vite s’éparpiller dans pleins de petites actions. Je vais devoir produire de futures œuvres, et du coup avoir besoin de ce temps d’errance nécessaire pour alimenter et réfléchir à ce que j’ai envie de faire. Aujourd’hui j’ai vraiment du mal à le dégager mais en même temps je suis énormément nourrie par toutes les compagnies que nous recevons au quotidien. Je sens cependant poindre le temps de la digestion.

Je savais que cette activité de direction allait me solliciter énormément. Aujourd’hui, je le constate, je le mesure. Mais dans mon esprit je ne la sépare pas de mon travail de création.

Vos rendez-vous A l’improviste, C’est la classe, qui montrent une volonté d’ouvrir grand les portes de la chapelle, sont de véritables succès publics. De quoi vous réjouir ?

Nous sommes très contents de cela. L’invité mystère (cours de danse animé par un artiste mystère) que nous avons lancé dès janvier 2022 a fonctionné instantanément. Il faut dire que c’est un rendez-vous joyeux, festif. Tout comme notre Dancefloor d’ailleurs. Le public s’y rend pour danser entre 18h30 et 22h, ce qui n’est pas banal…  À ce sujet nous accueillons le 23 février la DJ Micka Rock. Cela promet d’être une belle fête.

Nous avons aujourd’hui un noyau de pratiquants mais ce qui me manque un peu c’est la participation des danseurs professionnels. Nous en avons certes, mêlés aux amateurs mais trop peu à mon goût. J’aimerais qu’ils soient plus présents sur nos Invités mystère… ils ne doivent pas se priver de ce rendez-vous qui est une fenêtre ouverte sur des dizaines de techniques différentes.  Je serais jeune danseuse, je m’y précipiterais ! Après c’est aussi une histoire de disponibilité pour ces danseurs professionnels qui sont très souvent en tournée.

Il y a aussi une question de diversité qui me manque encore et sur laquelle j’aimerais qu’on travaille. Il y avait une belle communauté d’interprètes hip hop lors de la direction du CCN par Kader Attou et je ne la vois pas venir. Nous n’avons pourtant pas fermé la porte à ces artistes et j’aimerais vraiment les accueillir, que cela se mélange encore plus en termes de génération, d’endroits culturels.

Je sors d’une semaine de rencontres avec les étudiants de La Rochelle. Ils étaient ravis de nos échanges mais ils peinent à entrer dans la chapelle.  Ce public est extrêmement pris : les cours, les stages, les jobs, les examens… C’est un public difficile à capter à La Rochelle comme ailleurs. Je l’ai déjà vécu lors de ma résidence à Nanterre. Aussi nous allons y travailler avec Solenne Gros de Beler, directrice de La Maison des Étudiants. Elle a rejoint notre Conseil d’Administration et ensemble nous allons imaginer comment faire entrer la danse dans les cursus car c’est la clé pour capter les étudiants.

Je pense transformer notre dispositif Plateaux-repas (rencontre ponctuelle sous forme de débat à l’heure du déjeuner) notamment en les organisant différemment la saison prochaine. Plus comme un programme où l’on s’inscrit pour suivre un cursus autour de la culture chorégraphique, ces rendez-vous seront élaborés avec la complicité de Jean-Sébastien Noël, Maître de conférences en Histoire contemporaine à l’Université de La Rochelle. Cela va tisser quelque chose de plus proche avec le public de l’Université.

J’ai le sentiment, à La Rochelle mais également ailleurs, qu’il existe toujours des ilots qui ne se rencontrent pas et c’est bien dommage. Je pense à ce réseau des écoles de danse privées. Le CCN souhaite rencontrer tous ces acteurs artistiques et culturels de la ville et travailler bien évidemment avec leurs élèves.

La Coursive vous souhaite la bienvenue à travers un Avis de temps fête qui programme trois de vos pièces: Débandade, À l’ouest et Foules. Pourquoi celles-ci ?

Nous en avons discuté avec Franck (ndlr : Becker, directeur de La Coursive). Il est venu sur ces dix jours que m’a consacré la MC9, scène nationale de Bobigny tout comme il a découvert À l’Ouest à Bordeaux. Nous avons pensé que ces trois pièces sont de bonnes entrées en matière. Concernant Foules, cela faisait partie de mon projet CCN que de recréer une œuvre pour 100 amateur-es. Je souhaitais le faire dès mon arrivée dans la cité parce que c’est une manière d’aller à la rencontre des publics par la pratique. Et puis les interprètes qui sont sur le plateau vont amener au théâtre leurs amis, leur famille. C’est une belle opportunité pour présenter Mille Plateaux à la ville car l’effet est immédiat je dirais.

Débandade est ma création la plus récente. Une pièce grand format, ce qui n’est pas toujours le cas me concernant. Franck a insisté pour qu’elle se joue dans sa grande salle, ce qui m’effraie un peu et m’excite aussi, ce sera magnifique sur ce beau plateau ! La pièce est festive, populaire. La musique y est omniprésente, de Elvis à Missy Elliot en passant par Gainsbourg ou encore David Bowie. Mes interprètes y sont merveilleux.

Dans l’écrin du beau théâtre à l’italienne de Rochefort, le format plus intimiste de À l’ouest va s’épanouir. Cette pièce ne compte que des femmes et j’aime cette idée de la présenter à côté de la masculine Débandade. Le film Traverser les grandes eaux, projeté parallèlement à la pièce, fait écho au projet Faune, et à sa plateforme numérique www.ifaune.net que nous déployons, avec César Vayssié. Cela montre aussi la diversité des formes que je peux proposer.

J’ai gardé en magasin d’autres objets pour avoir, je l’espère, la chance de les présenter la saison prochaine …

Dans ce temps fort de La Coursive, il y a aussi un clin d’œil à Dominique Bagouet pour qui vous avez dansé. So Schnell est programmé. Que dire de cette œuvre ?

Le hasard de calendrier fait que Catherine Legrand a remonté cette pièce magnifique de Dominique Bagouet. L’écriture y paraît presque académique car c’est une chorégraphie de lignes sauf qu’à l’intérieur il y a du mouvement quasi brut. Dominique s’y auto-cite beaucoup avec des petits bouts de son répertoire. Le So Schnell d’aujourd’hui est revisité par Catherine avec de nouveaux costumes, des lumières différentes ; sa distribution est transgénérationnelle.

Je trouve tellement important que le public ait accès à cette écriture là car elle n’a pas eu tellement de filiations et c’est dommage. Je ne dis pas cela dans un désir de retour en arrière ou de nostalgie mais simplement il m’apparaît important de montrer que cette écriture est encore riche de futurs possibles. Elle doit être (re)digérée par la nouvelle génération… d’ailleurs je vais en transmettre un extrait au Ballet du Conservatoire rochelais : l’ABC. Nous le jouerons sur l’esplanade de la gare de la Rochelle, le vendredi 7 avril.

La question du répertoire vous est donc importante ?

En fait aujourd’hui quand je tourne Débandade, Klein ou La guerre des pauvres – donc mes pièces créées en 2020/21 – on m’en parle comme relevant du répertoire. Cela voudrait dire qu’une pièce n’existe qu’une année ? Pour moi ce sont des pièces en tournée qui viennent d’être créées. Remonter Le Cabaret discrépant ou des pièces de Bagouet jamais remontées, ça c’est du répertoire.

C’est comme cette question de génération : aujourd’hui on passe d’une génération à l’autre en dix ans. Non, une génération c’est vingt ans ! Nous n’avons pas d’enfant à dix ans. C’est un reflet de notre actuelle société où tout s’accélère, où nous consommons beaucoup, vite et contre lequel il faut lutter. Mais le public, les programmateurs, le système d’attribution des aides, les médias sont calés sur cette réalité. Cela fait trente ans qu’on le dit. Une aide au projet par an pour une jeune compagnie c’est vraiment la pousser à la création. Nous souffrons d’un trop-plein de productions donc revoyons la copie en imaginant, pourquoi pas, un accompagnement aide au projet/ aide à la diffusion/ aide à la structuration sur trois ans par exemple.

Cinéma, photographie, littérature sont des médiums qui nourrissent votre œuvre. Mais comment viennent-ils infuser votre danse ?

Compliqué comme question ! Mon fondement c’est que je suis danseuse. La danse est mon médium de base, mon moyen d’expression, mon être profond, ma manière de penser. Pour autant je ne suis pas sûre de vouloir faire des spectacles de danse. Ce qui m’intéresse c’est l’idée d’une écriture de plateau qui mette en jeu sur le même plan tous les éléments qui font le spectacle vivant – qui est en soi une forme pluridisciplinaire – où cohabiteraient décor, voix, lumière, objet, vêtement, musique ….

Moi, je prends chacun de ces médiums pour ce qu’ils sont et pas pour qu’ils s’étayent les uns les autres dans le but de raconter une histoire. J’aime qu’ils frottent ensemble, qu’il y ait des interstices pour que se compose dans l’espace et dans le temps un récit qui fait sens. La poésie m’est importante : la danse est une langue poétique.

Le regard du spectateur m’est aussi important : il va lire quelque chose au travers de ce que je lui donne à voir. Parfois son regard est étonnant car il m’amène à un endroit auquel je n’avais pas pensé. Il m’apprend quelque chose sur ma propre pièce. Je me préoccupe certes toujours de l’adresse au public, de la lecture qu’un spectateur peut faire de mes œuvres mais je lui laisse toute latitude pour faire son chemin dans mes pièces.

Une galerie de photos est visible actuellement à La Coursive. Que ressent-on lorsque l’on voit ainsi exposer et défiler en partie son œuvre ?

Quand on me posait cette question à 30 ans, je répondais : « attendez … laissez-moi un peu marcher pour justement entrevoir ma démarche … ». Aujourd’hui je trouve qu’on commence à voir quelque chose … il est temps, non ? (rires). En fait je trouve plus de lien entre mes pièces du début et celles d’aujourd’hui. Les pièces du milieu sont plus dans l’errance. Je connais les raisons de cette d’errances : parce que moins de moyens, parce qu’obligation à créer toujours plus – nous venons d’en parler – Cependant j’ai eu la chance de pouvoir voyager entre ma place de danseuse, de chorégraphe, de pédagogue, d’improvisatrice. Tout cela m’a nourrie en tant qu’auteure.  Mon travail entre la danse et la littérature, sa dimension « documentaire », mon rapport à l’humour, tout cela devient plus lisible aujourd’hui.

Nous avons découvert début février un de vos artistes associés :  La Tierce via Construire un feu, création 2023. Que pouvez-vous nous en dire ?

Je suis très heureuse d’avoir programmé la pièce. C’est un très beau cadeau pour la chapelle : La Tierce a tenu à faire un projet dans ce lieu, pour ce lieu avec sa lumière et son acoustique si spécifique. Construire un feu est contemplatif et il faut l’accepter. La pièce propose un moment de représentation rare. Je remercie la compagnie d’avoir pris ce temps de créer pour le lieu, même si bien évidemment la pièce va tourner dans d’autres espaces.

Les compagnies associées au CCN évoluent dans des univers totalement opposés. Je suis comme ça : quelqu’un de capable d’aimer des choses totalement aux antipodes, contradictoires. Cela donne de l’épaisseur aux choses … Le Collectif ÈS propose ainsi un travail très chorégraphique, très malin au bon sens du terme. Ultra-dynamique, à 200% en permanence. C’est frais, énergique, dans le faire. La Tierce est, elle, dans l’introspection, dans une recherche plus poétique, immatérielle. Quel bonheur de le réunir dans le projet Mille Plateaux et notamment dans l’Unité Mobile d’Action Artistique.

Vous savez nous sommes ici dans une chapelle mais les chapelles au sens « petit groupe fermé » comme le connait si bien le milieu chorégraphique et les arts en général ça me fatigue au plus haut point. Des familles ok, à partir du moment où elles sont recomposées, mais des chapelles, non merci !

Quand va se déployer sur le territoire l’Unité Mobile d’Action Artistique de Cocky Eek ?

On arrive à la fin des études techniques nécessaires pour harmoniser toutes les consignes de sécurité. La structure va exister au mois de juin. Nous avons déjà une résidence en avril à l’Espace Encan avec sa petite sœur construite par l’artiste Cocky Eek.  Et puis en juin et en septembre nous irons en ruralité dans la campagne, en Charente Maritime.

Je rappelle ici ce qu’est l’unité mobile : il s’agit de s’inspirer des unités mobiles hospitalières ou comment on invente une autre manière de diffuser le spectacle vivant, avec d’autres publics, d’autres opérateurs, sur un temps plus long (ici dix jours) et un circuit plus court et ce, même si un territoire manque d’équipement. Essayer de transformer nos manières de faire en prenant en compte les enjeux écologiques, économiques, de diffusion. On repense un écosystème du spectacle vivant dont on s’aperçoit aujourd’hui qu’il n’est pas toujours adapté notamment au travers du vieillissement des publics. Est-ce dû aux formats proposés, aux théâtres qui font peur ? Nous réfléchissons donc à réinventer un système grippé.

Nous allons proposer des formats divers : performance, rencontre, diffusion de film, fête, projet participatif, accueil d’artistes locaux, repas. On installe un campement artistique dans un endroit,  nous travaillerons en amont l’accueil. D’où le nom du CCN qui ira hors-les-murs de La Rochelle : il sera Mille Plateaux

La guerre des pauvres et Débandade sont vos deux dernières créations signées en 2021. Dans cette activité foisonnante trouvez-vous le temps de réfléchir à la prochaine pièce ?

L’Unite Mobile d’Action Artistique est ma création 2024 car je vais créer des objets à l’intérieur de la structure gonflable : des duos, des soli, une installation. Mais évidemment que je réfléchis à la prochaine forme plateau. Je laisse germer pleins de trucs qui parfois resteront débiles et qu’il va falloir arracher et d’autres qui vont pousser de manière plus éclatante. Je n’en suis qu’à cette phase-là.

Propos recueillis par Cédric Chaory

©Marc Domage

Mille Plateaux (milleplateauxlarochelle.com)

Avis de Temps-Fête! Olivia Grandville – La Coursive Scène Nationale La Rochelle (la-coursive.co