Jean-Claude Gallotta

Du silence naît le rock

À la suite de la programmation à La Coursive mercredi 5 février de My Ladies Rock de Jean-Claude Gallotta, le chorégraphe et son assistante ont discuté, en bord plateau, avec une quinzaine de spectateurs curieux. Compte-rendu.

Pourriez-vous revenir sur la genèse de cette pièce ?

J’ai fait une création autour de mon adolescence intitulée My Rock (2015). Nous l’avons créée au Théâtre du Rond-Point des Champs-Elysées le lendemain des attentats du Bataclan. Ce n’était pas facile de jouer ce soir-là mais il y a eu cependant beaucoup d’enthousiasme de la part du public qui venait défendre le rock, la culture et la liberté. Jean-Michel Ribes, directeur du théâtre, a trouvé la pièce formidable et m’a suggéré d’en faire un second volet. Je me suis rendu compte, lors de mes recherches sur My Rock, que de nombreuses rockeuses avait participé à l’écriture de l’histoire de ce genre musical. J’avais donc une liste de femmes sous la main … et j’ai conçu un miroir féminin à My Rock. Chaque homme a trouvé son pendant féminin : Randa Jackson est le pendant d’Elvis Presley, etc. Ce qui est étonnant avec les femmes, c’est que j’ai rencontré plus de problème de droits d’auteur  et ma liste de rockeuses a donc beaucoup évolué en cours de création. On me disait souvent : « Vous ne pouvez pas utiliser cette chanson, mais celle-ci oui ». Pour Janis Joplin par exemple. Ce fut un vrai chemin de croix pour faire ma playlist.

Les chorégraphes contemporains se sont émancipés de la musique pour inventer une danse nouvelle, indépendante d’une partition. Comment aborder alors un sujet tel que la musique rock et la danser au plateau ?

En 2015, pour My Rock j’ai souhaité rendre hommage à la fois à Merce Cunningham et à Elvis Presley. Comment faire ? Les deux avaient commencé dans les 50’s mais ils ne sont jamais croisés. Alors ce que j’ai fait, j’ai imaginé toutes les danses dans le silence et c’est après que j’y ai mis la musique. J’avais ainsi l’impression de rester intact, de faire oeuvre de chorégraphe contemporain. Il y avait là une vraie écriture contemporaine. Je voulais aussi montrer que cette musique n’était pas que de la variété. Ces rockeurs voulaient vraiment changer le monde avec leur guitare, ce n’était pas que du showbiz. Ce fut surtout des tragédies, des destins brisés. C’est pour cela je pense qu’il n’y a pas eu trop de critiques de la part des spécialistes de la danse contemporaine pour My Rock car il y avait tous ses atours, cette réflexion.

Matilde Altaraz : Toute la danse a été faîte dans le silence. Puis ensuite comme la musique est rythmée, il y a des respirations, des suspensions, des arrêts … Forcément les interprètes ne peuvent pas être toujours à côté de la musique, on penserait alors qu’ils n’entendraient rien. Pour Armide (2008) opéra-ballet de Lully, maître de musique du Roi-Soleil, Jean-Claude a chorégraphié également, en amont, dans le silence. Les mouvements devaient à un moment donné être plus  poussé pour tomber sur les comptes, l’énergie de la musique. Les danseurs sont alors devenus des musiciens en plus à la partition. C’est comme un ballet muet qui rencontre à un moment donné une musique avec sa propre rythmique. Et chez Jean-Claude la rythmique est en plus très importante … bien plus que les mouvances plus récentes de la danse contemporaine.

Pourrions-nous imaginer une pièce avec un chanteur actuel, en live ?

Oui bien sûr. Nous devions le faire avec Alain Bashung pour L’homme à la tête de choux (2009) malheureusement il a disparu avant. Nous l’avons réalisé avec la bande-son. J’ai également conçu une pièce avec Olivia Ruiz et des musiciens (Volver – 2016). J’ai un matériel chorégraphique un peu pâte à modeler donc je m’adapte au rythme de la musique, du chanteur …

Toutes ces chanteuses dont vous parlez dans My Ladies Rock, comment bougeaient-elles sur scène ? Avaient-elle une approche chorégraphique de leur musique ?

Non je ne pense pas. Elles bougeaient très simplement, instinctivement. Même Tina Turner qui clôt le spectacle avait finalement une gestuelle assez basique sous forme de chorus. Certaines de ces artistes ne bougeaient même pas du tout comme Pattie Smith. D’autres au contraire qui se défonçaient sur scène, à l’instar d’un énergique Janis Joplin. Toutes les énergies me semblaient naturellement à cette époque, c’est pour cela que je garde une grande part d’improvisation dans My Ladies Rock.

Les hommes portent des tenues féminines dans la pièce. Vous souhaitiez aborder la question du genre dans le rock ?

Oui mais sans en faire un message premier. Le rock a toujours été transgressif. Le rock s’est amusé avec le genre. Je sais que cette question est très à la mode aujourd’hui dans l’art vivant mais elle n’est pas le propos de My Ladies rock. Je suis dans ce jeu rock qui frôle sans cesse avec l’androgynie, avec une certaine idée de la sexualité libérée aussi. Il n’est d’ailleurs même pas question d’homosexualité : le rock est carrément transgenre pour le coup. Nous nous sommes amusés comme un David Bowie a pu s’amuser en son temps avec le genre.

On sent tout de même beaucoup de messages qui se rapprochent de nombreuses problématiques contemporaines actuelles ?

Oui tout à fait d’ailleurs je les ne fuis pas mais je n’en fais pas plus que ce qui est montré. Pour moi, une pièce doit être un savant mélange de politique et d’émotions. Au fond c’est cela une pièce, il faut savoir lui trouver un dosage suffisamment équilibré, tranquille pour que chaque spectateur puisse vivre son émotion sereinement. Je joue avec des couleurs mais je les nuance. Je n’aime pas quand c’est trop appuyé, même en tant que spectateur. Les discours trop directs ne me plaisent pas nécessairement. Je préfère qu’on me raconte quelque chose … oui, je suis dans cette balance entre le politique et l’émotion.

Quid de votre playlist qui s’arrête à Tina Turner : aucune rockeuse après elle ?

Sono un uomo del passato comme disait Pasolini. Je suis un homme du passé … après je dois dire que je n’ai pas eu les droits d’Amy Winehouse donc je me suis dit : « j’arrête aux titres de mon adolescence ». Je dois aussi dire que les groupes et artistes qui sont arrivés au cœur des années 80, je ne parviens pas à les distinguer vraiment, leur musique y est trop métissée pour se revendiquer d’un style unique.

Comment gérer tous ces droits d’auteurs ?

Tout cela est très technique, très juridique. Je ne peux me permettre de jouer un titre sans le déclarer au préalable ; j’ai eu des déconvenues avec une chanson des Beatles sur ma pièce My Rock. Je l’avais pourtant déclarée auprès de l’organisme mais entre temps les droits avaient changé de « maison d’édition » … Même Paul Mc Cartney doit payer des droits quand il souhaite interpréter en concert un titre des Beatles. J’ai du m’entourer d’une spécialiste de gérer tout cela : elle s’y est cassée la tête. Du coup j’ai enlevé les Beatles du spectacle en faisant cependant une pirouette … j’avais l’autorisation de jouer 3 seconde du morceau. Comme cette introduction de 3 secondes est archi-connue, j’ai pu garder finalement les Beatles. Puis j’en ai profité pour raconter, dans le silence, pendant le spectacle cet imbroglio autour des droits de ce groupe.

Pour Ladies Nina Hagen nous a donné les droits de sa chanson, mais je sais qu’il me manque le droit d’un de ses co-auteurs qui ne s’est pas manifesté … Bref c’est assez lourd : chaque personne ayant écrit ne serait-ce qu’un mot dans une chanson … à son mot à dire sur la diffusion.

Propos recueillis par Cédric Chaory.