L’Horizon : un tramway nommé alu
L’Horizon présentait ce samedi #three, trois solos en danse contemporaine. Deux jeunes danseuses, Noémie de Almeida et Clémentine Bart, confirmaient tout le talent qui justifiait leur invitation par John Bateman, chorégraphe et fondateur de la compagnie Chiroptera.
L’Horizon, arrimé comme sa consœur Sirène à la zone portuaire de la Pallice, jouxte la voie ferrée débouchant sur l’Atlantique… et les silos à grain. Les murs et la voûte arrondis entre lesquels le public se pressent, nombreux, donnent l’impression d’entrer collectivement dans une rame qui serait l’appendice poétique des installations industrielles du dehors.
La destination était choisie : on nous proposait rien de moins que l’univers. Un corps au centre de la scène, cintré d’une armure d’aluminium aux brisures irrégulières, restait fixe. Nous étions tous curieux de savoir qui nous faisait face ; au premier abord, il était possible d’hésiter entre un ronin post-moderne ou, pour les esprits moins japonisants, de se rappeler l’homme de fer du Magicien d’Oz.
Au son sourd et caverneux de chocs tectoniques, le corps, dont on ne savait s’il était masculin ou féminin, s’effeuillait dans un presque-mouvement qui vous hypnotisait instantanément par la sonorité organique qui s’en dégageait : les feuilles d’aluminium, qui se détachaient une à une, tombaient au sol dans un bruit de froissement, de pluie d’un autre monde. Le corps, dénudé, se devinait enfin ; c’était un corps de femme qui nous proposait un voyage centrifuge, de l’univers à l’individu, à soi.
Avec Infidu Indivini, Noémie de Almeida nous fait une proposition artistique totale. De par le titre (ce n’est pas du latin, mais un renvoi à l’infini que tout individu porte en lui, dont il fait partie et qui se mêle à lui) et la composition (scénique, chorégraphique et musicale, composant elle-même certains éléments sonores), Noémie de Almeida, jeune rochelaise de 21 ans, fait déjà preuve de beaucoup de personnalité. Son message est également engagé : elle finira par nous interpeller sur nos excès et notre comportement au monde, en compactant notre univers, devenu lamelles d’alu esseulées, dans une toile de plastique bleu inquiétante et interrogatrice.
Le deuxième solo part de la salle, Clémentine Bart s’exfiltre des gradins et pose un regard fort, courageux sur les spectateurs. Le premier mot qui vient est courage. Courage de porter la voix des sans-domiciles qu’elle a enregistré, samplé pour accompagner sa danse légère, aérienne, mais également tranchée, sans concessions pour nos lâchetés, nos laisser-faire. Elle dénonce la Violence des riches qui est un sujet courageux puisque ambivalent : ne sommes-nous pas toujours le riche de quelqu’un ?
Clémentine Bart a choisi un très beau piano, émotionnel, pour accompagner sa danse, qui semble porter la souffrance des gens qu’elle a rencontré, pour redonner une dignité aux mots écorchés des plus faibles, ou décrétés comme tel. Elle effectue un travail des mains qui fixe et donne l’authenticité qu’elle recherche et qu’elle nous donne.
Il ne nous restait plus qu’à rencontrer le maître de cérémonie, John Bateman, qui apparaissait dans un costume aux allures torero qu’il a voulu ‘pour le gêner le plus possible’. Sous un éclairage minimal, et dans une déambulation géométrique et quasi-électronique à la Pac Man, c’est un Solo one exécuté par un Han Solo qui veut déranger, et c’est ainsi le professeur qui s’amuse avec du poil-à-gratter.
Finissant de nous saisir à vif et de nous surprendre en sortant sur un banjo très country des Dead South (In Hell I’ll be in good company !), la locomotive filait bien et vers l’Ouest, à l’Horizon.
Aymeric Duriez
©Visuel Chiropter