Kader Attou

Grosse actualité pour Kader Attou, directeur du CCN de La Rochelle. Entre la tournée de sa nouvelle création Danser Casa et son festival rochelais SHAKE LA ROCHELLE, il trouve le temps de répondre à Umoove.

Danser Casa, votre pièce co-signée avec Mourad Merzouki, ouvre le festival à La Coursive et créé en même temps l’événement. Quelle en est son histoire ?

C’est une aventure née il y a deux ans. À l’origine de ce projet se trouve Anne Sophie Dupoux ancienne administratrice du Théâtre de Suresnes et aujourd’hui à la tête d’Etat d’Esprit Productions. Elle connaît très bien la danse hip-hop et lorsqu’elle est partie vivre à Casablanca, elle s’est vite rendue compte de l’énergie créatrice de cette ville. Elle y a retrouvé ce potentiel que nous avions nous-mêmes, Mourad et moi, quand nous étions à la tête de jeunes compagnies hip hop. Elle nous a donc contacté et demandé d’imaginer un projet autour des jeunes danseurs de cette ville.

Lors de l’audition, ce sont 280 artistes talentueux qui se sont présentés. Nous devions en retenir que 8. Ce jour-là nous aussi, nous nous sommes rendus compte de l’énergie, de la jeunesse, de la générosité de la ville. Ces jeunes sont autodidactes, formés aux battles, sans expérience artistique proprement dite. L’enjeu pour Mourad et moi était donc de donner de la profondeur à ces danseurs peu aguerris à la scène. Ce fut une véritable aventure humaine. Danser Casa est emprunt de ce qu’est cette ville : foisonnante, énergique, violente dans tout ce que ce mot peut contenir. Cela donne une pièce dense, généreuse, virtuose et chacun des danseurs raconte une part de son histoire, de sa ville. Je pense que nous avons réussi à leur donner cette profondeur que nous attendons de nos danseurs professionnels. On a cru en eux et inversement même si cela n’a pas été facile tous les jours car ils ont découvert le monde professionnel au fil des répétitions. Forts de cette expérience, certains danseurs se voient différemment, s’imaginent aisément embrasser une carrière artistique.

Le même soir est dévoilée, à la Chapelle Fromentin, la nouvelle création d’Hamid Ben Mahi : Yellel

Rassurez-vous, le public pourra voir et Yellel et Danser Casa car ces deux pièces inaugurales sont jouées à plusieurs reprises. Nous suivons depuis longtemps le travail d’Hamid. Avec Yellel, il propose une pièce qui parle de la Méditerranée. Comme Danser Casa et la pièce d’Hervé Koubi mais je précise qu’il s’agit d’un pur hasard de la programmation. Nous ne souhaitons en aucun cas faire un focus Méditerranée mais nous sommes très heureux de proposer trois regards singuliers sur cette région du monde. Yellel est une création Shake La Rochelle et ça me ravit. La géographie du danger, autre pièce d’Hamid fut créée ici également, avec le succès qu’on lui connaît. Ici, Hamid revient sur ses origines algériennes. Il avait déjà esquissé la question dans son solo Chronic(s). Au plateau, il y aura 5 danseurs. L’année dernière déjà les spectateurs avaient pu apprécier à La Sirène 15 mn de ce projet alors en cours, déjà touchant et puissant.

Autre tête d’affiche très attendue : Hervé Koubi avec Les Nuits barbares ou les premiers matins du monde.

Hervé Koubi revient lui aussi sur son histoire algérienne. Il s’agit de sa deuxième pièce qui traite de cette question. La première était son grand succès Ce que le jour doit à la nuit, créée en 2013 et adaptée du roman de Yasmina Khadra. Ceux qui ont aimé cette pièce, apprécieront de retrouver la même équipe de danseurs hip hop algériens. Moi j’aime l’écriture et l’esthétique d’Hervé : il sait allier la puissance des corps de ses danseurs à une indéniable sensualité et grâce.

La sensualité du hip hop … on la retrouvera aussi dans les pièces présentées par des chorégraphes-femmes, nombreuses dans le festival. Il y a aura même une table ronde consacrée aux « corps de femmes en danse hip hop ». Où en est le hip hop féminin en France ?

Le pôle recherche du CCN porte une réflexion sur cette danse : son histoire, ses écritures … Nous avons d’ailleurs publié quelques ouvrages sur le thème et réalisé quelques vidéos. J’ai envie, sur les trois ans à venir, de mettre l’accent sur la femme dans la danse hip hop. Quelle soit chorégraphe ou interprète. C’est bien pour cela que nous avons une artiste en compagnonnage, Nach pour les 3 ans à venir. C’est une artiste formidable, qui monte. Cette histoire du hip hop féminin est riche et elle est là dès le début du hip hop en France, il y a une trentaine d’années. Je pense notamment à Christine Coudin. Après cette histoire est méconnue car tout est contexte et représentations … Avec le pôle recherche, nous questionnons ce qui fait trace, date, quels ont été les moments précis de cette histoire … Agnès Izrine, rédactrice en chef du site DANSERCANALHISTORIQUE va modérer notre table ronde où seront présents Nach, Mellina Soubetra, Linda Hayford mais aussi Mathias Rassin, danseur du CCN qui transmet à des interprètes-femmes.

Shake La Rochelle programme aussi des artistes venus de l’étranger. Je pense notamment à Andrew Skeels et son Finding Now. Que vaut ce Grand Prix de la critique 2018, catégorie danse ?

C’est une totale découverte pour moi. Cette production Suresnes Cité Danse va être autant une surprise pour moi que pour le public. Bien évidemment j’ai aperçu des bribes de la pièce … et j’ai été soufflé par ce travail autour du hip hop et de la musique baroque. Cette rencontre est étonnante. La pièce a déjà beaucoup tourné et, comme chaque pièce, elle arrive à une fin de cycle. Il m’apparaît important que le public rochelais la découvre avant que son auteur, que j’ai par ailleurs rencontré et que je trouve incroyablement intelligent, ne passe à autre chose …

Shake La Rochelle s’ouvre grand à l’international cette année, non ?

Effectivement nous programmons aussi les canadiens Tentacle Tribe le 14 novembre avec Threesixnine. Nous travaillons avec des structures étrangères qui nous conseillent leur coup de cœur, leurs artistes-compagnons. Il s’agit de mettre en synergie les différents festivals hip hop européens tels le Hop de Barcelone, le Summer Dance Forever d’Amsterdam, Breaking Convention de Londres … ce réseau s’élargit au fil des ans. Nous nous réunissons chaque année pour échanger sur les artistes, pour créer des passerelles de diffusion aussi. Dans notre Hip Hop Day du dimanche 17 novembre, nous accueillons également la compagnie espagnole In Motus.

Comment vous est venue l’idée de programmer Youssoupha en version acoustique ?

David Fourrier, directeur de notre partenaire La Sirène, nous a soumis cette idée. À l’origine le concert devait se dérouler dans la salle de la Pallice mais finalement il a migré dans cet écrin privilégié qu’est la chapelle Fromentin. David voulait un format intime pour ce concert piano-violoncelle-voix. Je suis très heureux que la Chapelle renoue avec la musique car dans le passé le CCN a accueilli, dans le cadre des Francos et de leur Folie Matinale, des artistes comme Christine and the Queens alors inconnue ou Camille … Je tenais aussi préciser que le festival se déploie partout dans la ville, via notre programmation jeune public mais pas seulement. À L’Agora le public pourra découvrir Fli d’Art Move Concept ou encore Zoom Dada du Théâtre Bascule, une pièce tout public dès 3 ans. MontETSouris de Racine Carrées va lui tourner dans les différents centres socio-culturels et médiathèques de quartiers de Villeneuve, Mireuil, Le Pertuis ou encore La Pallice.

Et le final de Shake La Rochelle : quel sera t-il ?

Il est assez explosif et se déroulera en plusieurs temps à La Sirène. Tout d’abord nous allons proposer une Battle all Style 1 vs 1. Il est ouvert à toutes les esthétiques ; 4 danseurs hip hop et 4 danseurs d’autres esthétiques. Ils s’affronteront dans un vrai ring et seront jugés par 3 artistes également issus d’univers différents ! J’imagine un univers dans l’esprit boxe dans la bande son, dans le décorum … Cette battle sera ponctuée d’extraits de pièces, notamment celles de Boxe Boxe de Mourad Merzouki ou encore Raging Bull de Caliband Théâtre. Cette compagnie proposera également sa nouvelle création autour de Martin Luther King et de son assassin : MLKING 360 le vendredi 29 novembre.

Enfin pour clôturer en musique et toute en iconoclastie ce festival, on propose un concert live des PuppetMastaz, le seul groupe rap de marionnettes. C’est assez dingue ce projet : ce sont de vrais chanteurs cachés sous un castelet qui manipulent leurs marionnettes-rappeurs. On essaye de surprendre notre public jusqu’à la fin (le tout avec une politique tarifaire vraiment bien pensée : le plus cher des spectacles doit être à 10 euros !).

Propos recueillis par Cédric Chaory

©STEPHANE DE SAKUTIN