Botero évidé
Il arrive que les textes de présentation des spectacles dans le programme de saison d’un théâtre, soient prometteurs, laissant présager de belles rencontres avec un auteur, un artiste, un univers… Avec Botero en Orient, du chorégraphe marocain Taoufiq Izeddiou, la déception est là et les promesses rapidement évacuées.
Peut-être ne faudrait-il jamais lire ces mots de présentation et se laisser tenter par les spectacles sur un nom, un titre, un lieu ? Peut-être qu’après lecture de ces mots de présentation, des attentes se créent et il devient difficile de s’en départir pendant ou après le spectacle ? Entrée du public. Juchés ou assis sur des cubes ou rectangles de bois, dans la pénombre, les quatre interprètes, une française, une gabonaise et deux marocains dont Taoufiq Izeddiou, se meuvent doucement. Une fois le public installé, leurs mouvements s’accélèrent et deviennent frénétiques pour certains, posés pour d’autres.
Puis les premiers pas en dehors de chacun de ces territoires (ces pesantes caisses de bois) laissent place à une succession de courses, d’un lieu à l’autre. Il semblerait qu’il faille trouver sa place. Changement de lieu, la gestuelle de chacun s’inscrit dans chaque territoire comme l’affirmation d’une identité. Pas si simple de trouver sa place. Les interprètes se retrouvent debout sur le même espace, restreint, contraints de composer avec.
A travers son propre corps et celui des ses interprètes, Taoufiq Izeddiou interroge celui-ci les normes et échelles de valeurs qui lui sont accordées selon la culture d’où il vient. Pour le chorégraphe : « En Orient, l’opulence n’est pas problématique, les rondeurs sont beauté et signes de prospérité… ». Dont acte. Au plateau, où rarement ce type de corps et notamment en danse sont présents, Essiane Kaisha, Karine Girard, Marouane Merzouar et le chorégraphe incarnent selon Taoufiq Izeddiou, ces corps ronds, généreux, exceptionnels « volumétriques » comme les appelle le peintre colombien Fernando Botero.
Apparait alors, à mon avis, le premier écueil de la pièce. Ces corps ne sont pas si exceptionnels que cela y compris de notre point de vue occidental. Karine Girard que l’on a pu voir récemment dans des pièces d’Olivier Dubois, n’a pas un corps très éloigné de ceux que l’on peut voir sur des plateaux, Essiane Kaisha a le corps de beaucoup de danseuses africaines ou d’origine africaine, musclé, bien planté, quant à Taoufiq Izeddiou et Marouane Merzouar leurs corps sont un peu plus ronds que ceux qu’on a l’habitude de voir, mais ça n’est pas si marqué que cela.
A la vue des corps peints par Fernando Botero, que ce soit ces danseurs, ces enfants, ces personnages célèbres, l’opulence est bien plus importante et bien plus percutante. Annoncer des figures atypiques ou a-normales comme celles auxquelles s’est intéressées le peintre Botero, parait excessif quant à cette pièce. Au delà des corps de Botero, Taoufiq Izeddiou s’est aussi intéressé à l’enfer d’Abu Ghraïb. Cette prison de Bagdad dans laquelle des irakiens furent torturés, tout d’abord par la police politique de Saddam Hussein, puis par l’armée américaine qui avait réouvert le lieu un an après sa fermeture en 2003. Le peintre colombien a créé une série de tableaux à partir des témoignages de ces prisonniers qui ont vécu tortures et humiliations.
Le chorégraphe marocain, originaire de cet orient décrit dans les peintures d’Abou Ghraïb, s’empare de ces tableaux et des questions qu’ils posent à la fois sur les tortionnaires et les torturés, pour interroger lui aussi, les injustices et horreurs de ce monde. Faire de la danse et faire de la politique participent pour Taoufiq Izeddiou d’un même geste. Au plateau, cette volonté de dire ce monde n’apparait pas clairement. Les danseurs sont contraints par des espaces (les cubes et rectangles en bois sont manipulés pour créer des chemins, des lieux de danse, mais aussi pour restreindre, voire éteindre le mouvement du danseur, notamment dans la scène finale de danse du ventre), des costumes et donc des images auxquelles ils renvoient, mais la puissance des peintures de Botero sur Abou Ghraïb est plus esquivée qu’appropriée ou développée.
Botero en Orient, place le spectateur dans l’attente. Beaucoup de propositions sont faites mais tout échappe rapidement. Chacun des danseurs a son solo mais il est difficile de rattacher celui-ci au propos du chorégraphe. Essiane Kaisha, contrainte par un espace limité à quelques cubes en bois, se lance dans une écriture chorégraphique issue des mouvements de danses africaines. Par sa physicalité et l’énergie déployées, elle semble affirmer quelque chose, mais quoi ? Karine Girard nous offre un élégant solo, où l’on remarque dans ces déplacements la qualité de travail de ces jambes. Mais là encore le propos s’étiole. Marouane Mezouar dont les marches à la périphérie du plateau se succèdent et qui, à la fin du spectacle fait vibrer son ventre (cette fois-ci l’Orient est là mais plutôt de manière anecdotique) illustrant la musique qui l’accompagne, n’apporte que peu à la compréhension de l’ensemble de la pièce.
Botero en Orient, fait partie de ces créations où quelques images restent, un choix esthétique se dessine légèrement, mais où aucune empreinte émotionnelle reliée à un propos ne se dégage. Restera peut-être cette création sonore de Saïd Ait El Moumen et Taoufiq Izeddiou, qui elle nous transporte en Orient et bien au-delà.
Fanny Brancourt, Le Tarmac Paris (Février 2019)
©Dorothea Tuc