To come and see – Truong / Marom / Massoni / Orfanidou / Secretan

« … et laissez les coïncidences diriger le reste. »

« Si je devais choisir quelqu’un avec qui coucher ce soir, ce serait… vous ! » L’adresse est directe, le regard appuyé, la présence totale. La gêne pointe, le trouble perce, le rire souligne l’émotion ou l’évacue. Les mots et silences se confondent, à la fois fuyant et affirmés. 

Cette attention du regard de l’artiste vers le public n’est pas sans rappeler une performance de Marina Abramovic. Dans la rétrospective qui lui était consacrée en 2010 au MoMa, The Artist is Present, la performeuse regardait assise sur une chaise une personne du public qui venait à tour de rôle s’asseoir en face d’elle. La durée de l’échange était courte mais d’une densité émotionnelle incroyable. A travers ce dispositif, chaque participant était traversé par des émotions allant des rires et sourires aux larmes. L’attention qu’offrait Marina Abramovic au public était telle (et ce pendant les trois mois qu’a duré la performance) qu’il était impossible d’en sortir vierge.

Simone Truong, à l’origine de (To) Come and See, fait écho, au début de la pièce, à cette performance autour du regard, d’une attention portée aux gens, aux sensations. A la différence de Marina Abramovic, les artistes sur le plateau parlent au public. Elles énoncent ce qui a déterminé leur choix. « … j’ai appris avec l’âge que ça ne servait à rien d’aller vers les hommes beaux, mais vous, vous m’avez attiré… en même temps il y a quelque chose de monstrueux chez vous… c’est un compliment… » Voici en substance les propos d’Adina Secretan s’adressant à un homme du public, quand Simone Truong parle elle de la timidité qui se dégage de l’homme qu’elle choisit. Chacune des performeuses auront l’occasion au fil de la pièce de poser un regard sur une personne et de mettre en mots ce qui détermine son choix laissant ainsi les émotions qui la traversent s’exprimer lors de ce face à face.   Le critique de danse et auteur Gérard Mayen nous rappelle que l’expression To come and see, dans le parler populaire anglais, évoque de manière très imagée le moment d’extase dans la jouissance sexuelle.

La création (To) Come and See par Simone Truong et les quatre femmes qui l’accompagnent Eilit Marom, Anna Massoni, Elpida Orfanidou et Adina Secretan, est une invitation à l’écoute, aux sensations, aux ressentis. Voyageant sur le plateau elles déconstruisent, créent des espaces, mettent en scène et révèlent toute une échelle de sensations. Des choses parfois infimes qui à l’aide d’un ventilateur, un projecteur, un rideau, une couverture, des micros HF, des masques transparents et quelques autres éléments prennent une amplitude, une grandiloquence ou au contraire affirment l’infiniment petit, l’intimité. Donner une tension ici, cacher des visages là, mettre en lumière ou sonoriser des corps aux multiples sensualités sont autant d’actions menées par ces femmes qui font sens quant à l’expression anglaise citée plus haut. Au-delà de la sexualité ou de la jouissance en tant que telles, cette pièce interroge le désir et l’essence des sens. Comment un regard, un sourire, un silence à l’adresse d’un inconnu peuvent mettre en mouvement le corps intime, le corps social de celui-ci ?

La qualité d’attention des cinq performeuses permet à chaque spectateur de recevoir la proposition inscrite dans la feuille de salle : « Prenez place confortablement, et laissez les coïncidences diriger le reste. » Nous sommes liés les uns aux autres par l’acuité, l’empathie que nous développons les uns envers les autres et envers nous-mêmes.

(To) Come and See questionne cette attention source de possibles tensions, mais surtout d’émotions et de sensations éminemment intérieures et personnelles. Il y a dans l’attention une qualité de présence à soi, à l’autre et au temps, qui fait de cette dernière un acteur majeur de nos émotions. C’est ce chemin sur lequel nous entraine avec légèreté Eilit Marom, Anna Massoni, Elpida Orfanidou, Adina Secretan et Simone Truong. Surprenantes sensations.

Fanny Brancourt (Juin 2016)

©Flurin Bertschinger