Histoires condansées – Foofwa d’Imobilité

Histoires mouvantes, riantes histoires

« Bonjour…Vous pouvez rallumer vos portables, envoyer des sms, répondre aux appels, faire des autoportraits, filmer le spectacle, prendre des photos… » etc. etc. L’annonce du « chercheur en danse pratique et théorique » comme il se nomme, a de quoi déstabiliser. Et pourtant, on comprend très vite que cette leçon des choses et histoires de la danse n’aura rien d’un cours magistral. Foofwa d’Imobilité inclut dès le début de son spectacle le spectateur tel qu’il est aujourd’hui. Encombré d’appareils de toutes sortes, qui bien souvent, notamment au théâtre, l’empêchent d’être dans le moment présent s’il ne veille pas à les éteindre. Même si il ne s’agit pas d’un échange verbal entre le public et le « conférencier » Histoires condansées prend toute sa force dans l’interactivité, les échanges cognitifs que celui-ci propose aux spectateurs.

Avec cette pièce créée en 2011, le performeur et chorégraphe suisse, nous dévoile un large panel des temps forts qui ont fait l’histoire de la danse des ballets classiques à l’émergence et affirmation de la danse contemporaine. Il traverse le temps en incluant dans l’Histoire de la danse, la sienne de sa naissance (il est le fils de la danseuse étoile Beatriz Consuelo) à ses années dans la compagnie de Merce Cunningham (il y est resté 7 ans), tout en y incluant des anecdotes de ce milieu artistique. Autrement dit un parfait cocktail mené deux heures durant tambours battants. A la manière de Pina Jackson in Mercemoriam, la pièce hommage aux trois danseurs chorégraphes partis l’été 2009, Foofwa d’Imobilité prend l’option du rire, de la désacralisation de la danse et des danseurs tout en leur témoignant son admiration. De la grande Histoire à la petite histoire, on entre par toutes les portes et ce pour notre plus grand plaisir. Foofwa d’Imobilité show-man avéré, déborde d’énergie et de volonté pédagogique sans jamais être didactique ou laborieux.

L’espace scénique est dégagé. Au devant du plateau, des fripes disposées en ligne permettront de passer dans l’ordre chronologique, d’un chorégraphe à l’autre, et d’entrer dans leur danse. Deux techniciens sur le plateau, sous la houlette du créateur lumière Jonathan O’Hear (codirecteur artistique de la compagnie Neopost Foofwa) s’attèlent à éclairer le conférencier, puis le danseur qui illustre ses propos (ici à l’aide de filtres bleus, jaunes). Sans aucun son extérieur, si ce ne sont ceux émis par son propre corps, (scène hilarante ou adaptant le rôle d’Apollon musagète, il ponctue tours et attitudes par des rots scabreux) Foofwa d’Imobilité se glisse dans l’identité et la personnalité de danseurs qui ont marqué leur temps et l’histoire de la danse. Il révèle leurs spécificités, leurs traits de caractères, leurs failles. Autant d’informations qui nous permettent de plonger dans cette histoire singulière. Entre explications de pas et présentations de chorégraphes, il reprend certains rôles clés de l’histoire de la danse tout en chantant les compositions musicales qui les accompagnaient. Lorsqu’il danse le rôle de l’élue dans le Sacre du Printemps, il convie une partie du public à huer le spectacle pendant que l’autre partie l’encense. Nous voilà projeter sans qu’on s’en rende compte dans la salle du Théâtre des Champs Elysées en mai 1913, où la première de cette pièce de Nijinski fit scandale.

D’une grande générosité Foofwa d’Imobilité donne sans compter. On perçoit, on voit, on entend, on ressent. On est avec lui dans l’histoire. L’humour dont il parsème son cheminement renforce l’attention portée aux propos et explications qu’il partage. Sans se prendre au sérieux, il diffuse avec ses Histoires Condansées, une lumineuse joie. Que l’on soit néophyte, amateur de danse ou danseur, on est embarqué dans une singulière histoire de la danse qui en plus de nous apprendre des choses a pour autre effet de nous rendre curieux. Quand les professeurs danseront leur discipline, l’école buissonnière verra sans aucun doute ses bancs désertés.

Fanny Brancourt, Centre national de la danse (Février 2015)

©Simon Letellier