Guests – Josette Baïz

Zéro de conduite

Sauf exception, et encore !, les sept pièces programmées, prises ou reprises par Josette Baïz et le Groupe Grenade sis à Aix, sont d’un très haut niveau technique et artistique. Elles ont bellement été créées ou recréées avec le concours d’autant de chorégraphes ou de leurs représentants. D’où le titre de cette mémorable soirée de gala, Guests, où le Théâtre de la Ville nous avait convié.

Cela commence sur un rythme endiablé, plus précisément sur des boucles House au tempo dépassant les 120 bpm contrastant étonnamment avec des mouvements livrés au ralenti, exécutés par cinq garçonnets nous faisant face à l’avant-scène, perchés à 50 cm du sol, chacun sur son praticable. Cette nouveauté d’Alban Richard intitulée Tricksters (2014), sans doute en référence à la fameuse série The Little Rascals (1922-1944) d’Hal Roach, à base d’une gesticulation grimaçante inspirée par les gargouilles des cathédrales gothiques, est simple, limpide et parfaitement réalisée par des bambins de huit à onze ans. Le pas de deux tiré de Déserts d’amour (1984) de Dominique Bagouet, transmis par Michel Kelemenis, lequel l’avait dansé il y a déjà trente ans, nous fait passer dans un tout autre univers, celui du flirtage et des jeux de l’amour et du hasard. Le ballet est classique, interprété avec une grande maîtrise par les deux adolescents, et coïncide avec la musique de l’enfant prodige que fut en son temps Mozart. Les quelques ruptures de ton et des clins d’œil à l’époque moderne ne rompent pas la magie de cet ouvrage.

Le Concerto (1993) de Lucinda Childs – la postmodern diva était d’ailleurs présente dans la salle –, est le test qui, à coup sûr, permet de juger de l’excellence technique des sept danseuses castées, des jeunes filles déjà un peu plus expérimentées, en tout cas sorties de l’enfance. Celles-ci surmontent l’épreuve avec brio et occupent non seulement l’espace considérable du plateau municipal mais aussi celui du champ visuel du spectateur en son entièreté. Avec force arabesques, sauts et chassés en perpetuum mobile sur fond de boucles musicales jouées au clavecin, qui produisent un effet hypnotique. Question prouesse physique, Entity (2008) de Wayne McGregor en exige un bon peu. La dizaine d’interprètes, filles et garçons réunis, en tenue d’athlètes prêts pour la compète, communique son dynamisme et enchaîne, intrépide, une série gestuelle des plus rapides, virtuoses et abruptes. Soit dit en passant, le soin apporté aux costumes va de pair avec la qualité de l’éclairage des ballets.

Après un intermède en forme de gag visuel (la scénographie de Dominique Drillot joue également avec le changement à vue des tapis de sol en PVC, le décollage des bandes de gaffer les juxtaposant devenant moment chorégraphique en soi), on découvre Spotlight Solo, une variation non datée mais signée Rui Horta, qui demande à son interprète masculin un savoir-faire tout aussi phénoménal. La qualité du danseur est digne d’éloge, celle du chorégraphe, idem. Le travail groupal d’Emanuel Gat Brilliant Corners (2011) nous a moins convaincu, desservi par son manque de lisibilité, de structure formelle et d’intensité. En revanche, si on peut dire, l’art martial – il n’y a pas d’autre mot – conjuré par la pièce très spectaculaire, Uprising, d’Hofesh Shechter, figurée par les mâles les plus adultes de la troupe, soulève littéralement la salle. Celle-ci fait un triomphe à un tel finale ainsi qu’à l’ensemble des artistes, tous âges, origines et sexes confondus.

Nicolas Villodre (Février 2015)

©Léo Ballani